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rendu cher à tous. Un sourire d’héroïque résignation animait le visage du pauvre jeune homme. Pour la dernière fois, ses amis voulurent le presser dans leurs bras ; mais les soldats, croisant la baïonnette, leur refusèrent cette dernière et triste consolation. Howland avait vu le mouvement de ses amis. Il les salua une seconde fois du regard, et d’une voix ferme : « Adieu, mes enfans, dit-il ; j’ai fini de souffrir. Quant à vous… » Les soldats entraînèrent leur victime avant que Howland eût pu en dire davantage. Les prisonniers le suivirent à une vingtaine de pas de distance. La procession funèbre fit le tour de la place et s’arrêta près du cadavre, qu’on eut soin de laisser voir à celui qui allait tomber à ses côtés. Le condamné eut les yeux bandés, et, quand le mouchoir eut caché en partie son visage, il reçut l’ordre de marcher. Alors, d’un pas ferme et résolu, Howland s’avança vers la place désignée pour l’exécution. La face tournée vers la muraille, il s’agenouilla ; six soldats armèrent leurs fusils, l’explosion retentit, et Howland tomba pour ne plus se relever.

Quelques explications suffisent à M. Kendall pour compléter le récit de cette double exécution entourée de circonstances à la fois si tragiques et si mystérieuses. On se rappelle que la mission confiée à MM. Howland, Baker et Rosenburry avait pour but d’amener à l’expédition des vivres frais et de pressentir les dispositions des Mexicains à l’égard du Texas. Les trois émissaires avaient atteint les établissemens mexicains depuis environ trois semaines, quand Armijo les avait fait arrêter. Ils avaient pu s’échapper ; mais, poursuivis avec acharnement, ils avaient été bientôt découverts dans les montagnes où ils se cachaient. Dans la lutte, M. Rosenburry avait été tué, M. Baker était celui qu’on avait fusillé avant l’arrivée des prisonniers sur la place de San-Miguel. Quant à Howland, Armijo, qui l’avait connu déjà quelques années auparavant et qui appréciait son intelligence et sa bravoure, lui avait offert la vie sauve, pourvu qu’il consentît à lui révéler le but de l’expédition texienne. Le refus de Howland avait été son arrêt de mort, mais il avait sauvé ses compagnons.

Ce noble dévouement permettait-il à la caravane texienne de continuer sa pénible tâche ? Malheureusement non. Le capitaine Lewis avait été moins discret, moins courageux que Samuel Howland, et si Armijo laissait la vie aux voyageurs texiens, il n’entendait pas se relâcher de sa surveillance à leur égard. Des détachemens mexicains furent lancés dans le désert, et la colonne texienne fut décimée par de nombreux guet-apens avant d’arriver sur le territoire du Nouveau-Mexique. On envoya prisonniers à Mexico le petit nombre des Américains qui survécurent à tant de désastres. M. Kendall, comme ses compagnons, ne retrouva sa liberté qu’après un assez long séjour dans les états du centre. La dernière partie de sa relation n’a point l’intérêt de pittoresque