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des cotonniers et des saules. Des loups et des chouettes mêlent leurs hurlemens lugubres à la plainte monotone du torrent. Tout à coup un signal d’alarme retentit, la terre tremble sous les pas des animaux. Ces hurlemens prolongés ont provoqué dans le camp une de ces paniques dont j’ai déjà décrit les redoutables effets. Les bœufs encore accouplés prennent la fuite. M. Kendall n’a que le temps d’escalader un arbre pour éviter un choc qu’aucun pouvoir humain ne saurait prévenir ; en un clin d’œil, les bêtes de somme ont disparu, et c’en eût été fait de l’expédition tout entière, si, le lendemain matin, on n’eût, par miracle, retrouvé les animaux encore groupés non loin du camp. On se perd en conjectures sur les causes de cette panique soudaine, mais les vétérans de l’expédition l’attribuent à quelque ruse perfide des Indiens dont les voix ont imité les hurlemens des loups et les sifflemens des oiseaux de nuit.

Parmi les accidens de la vie, du désert, il en est un plus terrible encore que l’estampida. Le voyageur qui se sépare pour quelques instans de ses compagnons court risque souvent de perdre complètement leur trace : rien ne peut servir à l’orienter dans ces plaines aux ondulations monotones. C’est en vain qu’il se fatigue à courir dans toutes les directions : l’écho seul répond à ses cris d’alarme ; il s’arrête alors dans l’immobilité du désespoir. Mille visions surgissent autour de lui ; un bloc de pierre, un tronc d’arbre, prennent des formes menaçantes et semblent autant de mystérieux ennemis. Le malheureux se résigne, il s’assied et attend la mort. Il pense aux compagnons qu’il a laissés et qu’il ne retrouvera plus. Le soleil semble descendre avec une effrayante rapidité ; la nuit paraît, non pas s’épaissir graduellement, mais tomber tout à coup. Plus d’espoir alors : les ténèbres ont envahi les dernières lignes de l’horizon. Partout l’obscurité, partout la solitude : position terrible dans laquelle il faut s’être trouvé une fois en sa vie pour en bien comprendre toute l’horreur.

Égaré un jour à la poursuite d’un chevreuil, M. Kendall veut rejoindre la colonne en marche ; pour la première fois depuis une heure il cherche à s’orienter, mais un horizon inconnu l’entoure ; les ondulations des prairies n’ont plus la forme qu’il se rappelle. Il pousse son cheval vers la plus élevée de ces vagues de terrain ; là comme tout à l’heure, aucun souvenir ne peut l’aider : il est complètement égaré. Le soleil est au milieu du ciel ; comment distinguer le nord du midi ? En pareil cas, il n’y a pas à se dissimuler qu’on est face à face avec les plus terribles chances du désert. Sans oser s’écarter d’un étroit rayon, de peur de mettre plus de distance encore entre la caravane et lui, M. Kendall monte de nouveau sur une éminence et cherche à distinguer la toile des chariots de la caravane. Il n’aperçoit que les trombes de poussière que le vent soulève. Non loin de là, un loup solitaire regagne