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à sa perte, semblable au navire désemparé qui fait fausse route, et dont l’équipage confond avec une côte semée d’écueils le port qui doit l’abriter.


II

Les traces d’Indiens se multipliaient sur le passage des Texiens. Ces traces étaient fraîches, et les chasseurs sauvages qui les avaient laissées ne devaient pas être loin. L’apparition soudaine d’une troupe de chiens maigres et affamés vint donner aux présomptions des batteurs d’estrade un caractère de certitude. Ces chiens appartenaient sans nul doute à quelque peuplade sauvage. Comment avaient-ils surmonté leur répugnance instinctive pour venir chercher un asile parmi les blancs ? C’était une question à laquelle l’événement se chargea presque aussitôt de répondre.

Un ruisseau ayant été signalé par un des batteurs d’estrade, la confusion se met dans les rangs des voyageurs. Les mieux montés des cavaliers prennent les devans au galop. Les conducteurs de chariots veulent les imiter en poussant le pas de leurs boeufs, et la longue caravane est bientôt dispersée en corps isolés, les uns invisibles aux autres, sur toute l’immense étendue des prairies. M. Kendall, le commissaire Navarro, un Irlandais, M. Fitzgerald, s’étaient trouvés tout à coup séparés de leurs compagnons. Les rideaux de cuir du petit wagon qui les portait masquaient la vue à droite et à gauche, et ne laissaient voir, au milieu des longues ondulations des prairies, que la toile blanchâtre des chariots lointains. Tout à coup un bison emporté par une course furieuse, la langue pendante, les flancs haletans, dépassa la voiture des trois voyageurs. Don José Navarro écarta le rideau, et, se rejetant précipitamment dans l’intérieur du wagon, la consternation peinte sur le visage : — Les Indiens ! les Indiens ! cria-t-il, et le commissaire alarmé chercha précipitamment son rifle au fond de la voiture. À peine avait-il prononcé ces mots, qu’un cavalier indien, à son tour, dépassa les voyageurs. Le sauvage était monté sur un bai de taille moyenne, mais plein de fougue et de vigueur. Il était armé d’une longue lance à laquelle de nombreuses chevelures se balançaient en guise de banderole. Un arc et un carquois battaient ses épaules ; l’air, que fendait sa course impétueuse, gonflait son manteau de peau de daim autour de ses reins, tandis que ses cheveux noirs, que ne pouvait contenir une bandelette jaune, flottaient en longues tresses sur ses épaules. Les voyageurs cherchaient en vain cependant à dégager leurs carabines des bagages qui encombraient la voiture, quand un second cavalier, penché sur l’encolure de son cheval, les talons attachés aux flancs de sa monture, passa à son tour si près du wagon, que