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rampe une sous-végétation presque inextricable de bruyères et de buissons épineux. À peine, au milieu des profonds ravins qui coupent en tous sens le terrain aride, rencontre-t-on çà et là une étroite clairière. Partout l’herbe est desséchée, le feuillage jauni. Des troncs brûlés ou noircis par les feux des chasseurs indiens s’élèvent de tous côtés en attristant les yeux, tandis que leurs branches charbonnées et les buissons aux pointes aiguës déchirent les chairs des hommes et des animaux.

La traversée de ces immenses forêts qui séparent les hautes prairies des prairies basses dure quinze jours. Sur les bords de la rivière de Noland, un conseil est tenu entre les officiers et les chefs de l’expédition. La marche a été si lente, qu’on sent impérieusement le besoin de faire des journées plus longues. On est à la veille d’entrer dans une contrée plus accidentée ; il devient nécessaire d’alléger les chariots. C’est une mesure de salut commun. À cet effet, on fera comme dans les gros temps en mer : on se débarrassera de l’excédant de la cargaison. Des provisions considérables de bœuf séché, dont une partie se gâtait faute de consommation, sont destinées d’abord à être abandonnées ; puis on se résout aussi à sacrifier les bagages inutiles, les tentes, par exemple, qui n’appartiennent qu’à un petit nombre de voyageurs privilégiés, et auxquelles les propriétaires renoncent pour ne pas exciter le mécontentement de leurs compagnons. Officiers, commissaires, marchands et soldats se privent de ces abris portatifs si utiles dans le désert. La tente de l’hôpital est seule exceptée d’un auto-da-fé général qui ne laisse plus aux voyageurs d’autre ressource contre le brouillard, la froidure, la pluie ou l’ardeur du soleil, que leurs couvertures et leurs manteaux. On prend hauteur pour la première fois depuis le départ d’Austin. Un mois de route n’a permis de franchir encore que deux cents milles, et il en reste encore environ cinq cents dans la direction du nord-ouest jusqu’à Santa-Fé.

Rien ne ressemble à l’océan comme les immenses prairies qui couvrent cette partie de l’Amérique. Comme sur l’océan, l’œil n’aperçoit partout que le même horizon. Le chasseur des prairies a aussi quelque point de ressemblance avec le matelot : la même erreur de route peut perdre le bâtiment qui navigue dans une mer inconnue et le chasseur qui parcourt pour la première fois des prairies inexplorées. La caravane avait dû se préoccuper vivement des malheurs que de pareilles déviations pouvaient attirer sur elle : en suivant les bords de la Rivière-Rouge, elle ne courait aucun danger de s’égarer. Il fut donc décidé qu’aussitôt qu’on aurait atteint cette rivière, on ne s’en écarterait plus ; mais l’impatience même où l’on était d’arriver au cours d’eau désigné causa une déplorable méprise. Quelques formes de collines que de vieux chasseurs croyaient reconnaître firent prendre pour la Rivière-Rouge une rivière sans nom. La caravane allait dès-lors courir