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Comment s’expliquer que des efforts aussi divers, des sacrifices aussi considérables, n’aient pas produit en définitive des résultats plus significatifs ? Considérez ce qu’elle a coûté, et l’œuvre paraît immense ; comparez au contraire les effets obtenus aux exigences de la situation, et vous resterez stupéfait de la prodigieuse insuffisance des moyens mis en œuvre. C’est que les remèdes employés agissaient seulement sur les conséquences sans remonter à la cause même du mal. Faut-il reprocher aux pouvoirs éphémères qui se sont succédé après le 24 février de n’avoir pas exercé d’action sur les principes élémentaires du désordre industriel ? Incertains eux-mêmes de leur lendemain, qu’auraient-ils pu opposer aux incertitudes qui glaçaient la confiance ? En gagnant du temps par de simples palliatifs, ils léguaient à leurs successeurs la tache plus haute de substituer aux expédiens d’un jour les mesures générales qui embrassent l’avenir et replacent la société dans les voies normales de son développement. Comment le gouvernement actuel pourra-t-il suffire à cette grande mission ? quels sont les élémens qu’il doit chercher à contenir ? quels sont ceux dont il doit favoriser l’influence au sein de notre système économique ? C’est demander quelle est la politique industrielle la plus propre à réparer les désastres d’où nous sortons à peine.


III

Parmi les causes qui ont provoqué les cruelles convulsions économiques des dix derniers mois de l’année 1848, celles qui tenaient à l’ébranlement politique et à l’état provisoire de l’autorité ont perdu de leur influence. Malgré l’attitude violente des partis extrêmes, le pays veut l’ordre, non cet ordre trompeur qui aboutit à une périlleuse immobilité, mais l’ordre qu’engendre le jeu régulier des institutions et d’où naissent à la fois la sécurité et le progrès. Ce sont des conditions meilleures pour l’industrie que celles de l’année dernière. Nos manufactures en ont déjà profité. Dès le mois de janvier, le mouvement s’est fait sentir ; les travaux ont été repris à peu près sur tous les points. Nos grandes fabrications ont paru animées d’une vie nouvelle. Lyon a reçu d’importantes commandes de l’étranger et surtout de l’Amérique ; Rouen, Lille, Roubaix, Mulhouse, Sainte-Marie-aux-Mines, etc., stimulées par le retour de la confiance et les demandes du commerce, se sont activement préparées aux ventes du printemps et de l’été. Cette activité renaissante, que de fatales circonstances viennent de ralentir, avait été d’autant plus sensible, que la pensée en opposait naturellement le contraste à la désolante inertie de nos fabriques il y a un an. Elle s’était encore accrue par les efforts de nos manufacturiers pour figurer dignement à l’exposition quinquennale, où ils se sont empressés d’accourir[1]. Par malheur il reste

  1. Le nombre des exposans dépasse, cette année, de plus d’un dixième celui de 1844. Des produits ont été envoyés de tous nos grands centres industriels. Le département du Nord compte cent dix-neuf exposans, celui de la Seine-Inférieure cent dix-sept, le Rhône cent, la Loire trente-huit, le Haut-Rhin trente-cinq : dans la Seine, le nombre s’en élève à environ trois mille. Quatre départemens, l’Ariège, la Corse, les Landes et le Lot, ne figurent point à l’exposition. L’Algérie, au contraire, y brille par des produits qui prouvent la fécondité de son sol. Nous ne citons pas le nombre élevé des exposans en 1849 comme un indice de l’état de l’industrie : impérieusement obligés d’écouler leurs produits, les fabricans n’ont pas voulu perdre une occasion de publicité ou en laisser le bénéfice à quelques-uns d’entre eux : telle est la principale raison de l’empressement qu’ils ont montré ; mais, il faut le dire à leur honneur, ils ne sont pas restés au-dessous de leur renommée.