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se sont assez facilement placées durant l’été, grace au bas prix de cet article. Plus maltraités peut-être encore que les rouenneries, les beaux tissus d’Elbeuf ont tout-à-fait manqué de demandes. Des nombreux ouvriers que cette fabrique entretient, et dont quatorze mille au moins résident dans la ville, à peine quelques centaines ont pu continuer à travailler. Dans les autres départemens de la Normandie qui s’associent plus ou moins au mouvement industriel de la Seine-Inférieure, les mêmes causes ont amené des effets analogues. À Louviers, dont les magasins étaient déjà encombrés depuis plusieurs années faute de débouchés au dehors, les manufactures ont fléchi sous la ruine du crédit et du commerce intérieur. Il est impossible d’évaluer à moins d’un tiers le ralentissement de la production dans le ressort de Bernay, où la fabrication des rubans de fil de lin et de coton occupait neuf mille ouvriers, celle des toiles quatre mille, et les filatures de lin, de coton et de laine, environ deux mille. Par un singulier contraste, à Pont-Audemer, les fabriques de coton et de lin, partout si rigoureusement éprouvées, souffrent moins que l’industrie traditionnelle des cuirs, qui semblait assise sur de plus solides fondemens. Les dentelles de Caen employaient, en 1847, plus de cinquante mille personnes, c’est-à-dire plus d’un huitième de la population de tout le Calvados. Il faut avoir visité les faubourgs de Caen et les communes environnantes pour se faire une idée des ressources que ce travail offre à la classe laborieuse. Des milliers de femmes y trouvent, leur seul moyen d’existence. Après la révolution de février, les facteurs, ne recevant plus de demandes du commerce parisien, suspendirent aussitôt leurs opérations. L’industrie de Caen et de Falaise, la bonneterie, qui s’écoule en très grande partie dans le pays même, a gardé au contraire son marché à peu près intact. À Lisieux, la fabrique des toiles de lin dites cretonnes, et celle des serges appelées frocs, sont, comme les cuirs à Pont-Audemer et la bonneterie à Caen et à Falaise, attachées au sol depuis des siècles. Quarante à cinquante mille pièces de toile estimées 9 millions de francs, cent mille pièces de frocs d’une valeur à peu près égale, sortent annuellement des ateliers de ce district. Souvent les bras ont fait défaut aux besoins de la fabrique, et, durant les années précédentes, on avait été obligé, d’en demander à la Belgique et à l’Angleterre. Au mois de mars 1848, les ouvriers étrangers sont presque tous partis, et ceux du pays ont à peine conservé la moitié de leur besogne habituelle. Dans les districts industriels de l’Orne, à Alençon, à Condé-sur-Noireau, à la Ferté-Macé, à l’Aigle, à Tinchebray, à Vimoutiers, à Flers, la fabrication des dentelles, des toiles, des draps communs, de la tréfilerie, des épingles, la filature et le tissage du coton, etc., sont tombées de plus de moitié au-dessous du chiffre des années précédentes. Le département de la Manche, qui ferme vers l’ouest la région septentrionale de la France, n’offre presque plus aucun vestige d’activité manufacturière ; mais la chaîne des grands phénomènes économiques engendrés par la crise se renoue dans les trois derniers départemens de la même zone, l’Aisne, les Ardennes et l’Oise.

L’importante cité de Saint-Quentin se distinguait par les industries les plus diverses. Avant 1848, douze filatures de coton, armées de quatre-vingt-treize mille broches, produisaient chaque année cinq cent mille kilogrammes de coton filé d’une valeur de 3 millions de francs. Long-temps restreinte et stationnaire, la filature de la laine y avait pris tout à coup un essor prodigieux. La production des ateliers de la ville ou de ceux des villages voisins, Guise, Ribemont, Saint-