Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1049

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milieu de conséquences déplorables, aura eu du moins cet avantage de mettre à nu quelques-uns des vices essentiels de notre situation économique.


I

La crise de 1848 a débuté par un fait extraordinaire qui la distingue de toutes les crises antérieures, soit au dedans, soit au dehors. On avait toujours vu les perturbations industrielles éclater par le resserrement soudain de la circulation, par un renchérissement inattendu du capital. Après la révolution de février, au contraire, c’est le travail qui refuse le premier son concours à l’œuvre de la production. Les ouvriers se hâtent eux-mêmes de murer les portes de leurs ateliers abandonnés. Singulier et triste commentaire du décret sur le droit au travail ! Des théories faites d’avance se trouvaient prêtes pour systématiser ce désordre. Maîtresses du pouvoir sans être maîtresses d’elles-mêmes, mises en contact avec la réalité après avoir été conçues dans un monde purement imaginaire, elles promettaient le bonheur aux ouvriers en préparant la misère publique. Par leurs appels passionnés à l’agitation, les chefs influens du socialisme commirent alors l’irréparable faute d’arrêter le mouvement industriel et de livrer la population laborieuse à une grève immense dont ils devaient être impuissans à prévenir les suites fatales. Quand même leurs doctrines, telles qu’ils les produisaient alors, n’eussent point été contraires aux lois du développement de l’activité humaine et du véritable progrès social, ces faits suffisaient pour amonceler devant leurs pas l’invincible obstacle des répugnances et de l’appauvrissement du pays. À mesure que les provocations remuaient davantage l’esprit des masses surexcitées déjà par la récente révolution, la crise économique débordait de plus en plus comme une lave brûlante. Ateliers industriels, établissemens de crédit, institutions de prévoyance, tout était emporté par cet indomptable torrent. Plus de confiance, plus de circulation, plus de mouvement. Les usines avaient éteint leurs feux, le fer refroidi languissait au pied de l’enclume, les métiers chômaient dans nos fabriques désertes, et la misère élevait chaque jour ses flots envahissans.

La tourmente grossit jusqu’aux élections de l’assemblée qui devait consacrer le nouveau régime social et politique. On espéra dès-lors plus de sécurité. Quelques fabriques tentèrent de se rouvrir, quelques opérations commerciales furent préparées. La journée du 15 mai arrêta bientôt cette reprise des affaires et livra de nouveau l’industrie à la plus complète inaction. C’était la troisième phase de la crise. On parut d’autant plus abattu qu’on avait un moment repris confiance. Cependant la société éprouve des besoins si nombreux et si pressans, qu’une inertie prolongée lui serait mortelle. Dès les premiers jours de juin, malgré l’état provisoire encore du pouvoir exécutif et l’incertitude de son action, les affaires semblaient déjà se relever un peu : des commandes assez importantes, venues de l’étranger, apportèrent à certaines fabriques un précieux soulagement ; mais voilà que le sol tremble de nouveau sous nos pas, voilà que les nuages amoncelés crèvent au-dessus de nos têtes. La misère, fatiguée d’attendre, égarée par de funestes doctrines, s’insurge, dans son désespoir, sans se demander si, en se supposant un instant victorieuse, elle aurait un remède contre