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mais les plus spéculatifs d’entre eux, MM. Browning[1], Bailey, Reade, par exemple, n’en sont pas plus portés vers l’idéalisme que nous connaissons. Ils sont plus méditatifs que systématiques. Ils songent peu à juger, à décider comment le monde devrait être fait ; ils cherchent plutôt à concevoir comment il est fait. De même que les anciens mystiques, ils sont portés à voir partout la Providence divine, à pressentir dans les lois de la création l’action incessante d’une volonté irrésistible et d’une intelligence infaillible devant lesquelles le sage ne peut que s’efforcer de comprendre, admirer et se soumettre. Leur philosophie, pour tout dire en un mot, n’est pas du rationalisme, mais du supernaturalisme naturel, suivant le mot de Carlyle, qui est leur père spirituel à tous.

Ainsi, en Angleterre, un des principaux résultats de la révolution romantique a été de détrôner la poésie intellectuelle, celle-là même à laquelle est revenu l’auteur du Roi Arthur, et en écrivant son poème allégorique, en exprimant des jugemens sous les emblèmes d’une légende, M. Bulwer me paraît s’être mis doublement en désaccord avec son époque. Il a emprunté à la nouvelle école ce qui était seulement un accident de ses débuts, une erreur de jeunesse, et, dans des formes déjà vieilles, et qu’elle-même a reniées, il a tenté de faire revivre l’esprit d’un idéalisme qu’elle a tué, je dirai plus, qui se refusait à subir un tel vêtement. La contradiction, du reste, est partout chez l’écrivain ; elle est au fond même de sa nature. En lui se trouvent réunis les idées du Nord et le procédé intellectuel du Midi, ses goûts plutôt. Il sait ce qu’on ne peut apprendre qu’en regardant de près, en étudiant les réalités avec le culte instinctif que les Germains ont toujours eu pour la nature, et il a l’amour de l’absolu et de l’universel, comme ceux-là qui se contentent de regarder de loin et tiennent en grand dédain le réel. Son intelligence, sans doute, est à la hauteur du siècle ; bien plus, il a de la verve, le secret d’émouvoir, le respect de la supériorité individuelle, le sentiment des joies et des douleurs comme de toutes les influences qui peuvent faire frémir les fibres passionnées de l’homme de nos jours ; en un mot, il possède une grande partie des facultés instinctives dont la réunion pourrait faire d’un écrivain le poète de l’Angleterre moderne ; mais en même temps qu’il se rattache ainsi par tant de points au développement des esprits les plus mûrs, l’art qui le séduit est toujours cet art épris de grossissement et d’exagération qui ne fascine guère que la jeunesse : l’âge où l’on se plaît à jeter le gant à la nécessité, et où l’on ne consulte que ses désirs sans s’inquiéter s’ils restent dans les limites du possible. — Bref, à toutes les qualités de M. Bulwer se joignent une tendance à généraliser et une préoccupation de

  1. Voyez sur Browning la Revue du 15 août 1847.