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« L’Angleterre a presque complètement déserté le terrain de la philosophie, et, dans ses plus grands efforts, elle arrive tout au plus à quelques systématisations baconiennes des sciences naturelles, » il est permis de penser qu’il fait même allusion au présent ouvrage de M. Mill ; mais ici il y a une grave méprise. La philosophie positive, dont le livre de M. Mill relève bien plus que des idées de Bacon, n’a rien de commun avec les conceptions du célèbre chancelier. Elle n’est point une simple systématisation des sciences : si elle n’était que cela, elle ne serait pas une philosophie ; mais elle exige pour préliminaire indispensable la création de la science historique ou sociale. Tant que cela n’est pas fait, rien n’est fait, et la philosophie théologique ou métaphysique garde toujours pour elle, si elle renonce depuis Descartes à la direction des sciences, un domaine qui, en réalité, est le plus considérable et le plus important de tous. La scène change quand la science historique est créée ; alors la philosophie positive devient possible, car elle embrasse désormais toutes les spéculations humaines, à savoir, la nature inorganique et la nature organique, et elle devient possible à deux conditions, savoir : qu’elle distinguera parmi les sciences celles qui sont pures et abstraites (je les ai énumérées plus haut), et qu’elle les rangera dans l’ordre de leur subordination réciproque. On voit qu’une telle opération ne peut être, à aucun titre, qualifiée de baconienne.


VII. – VARIATIONS SÉCULAIRES DES TENDANCES LOGIQUES. – CONCLUSION.

La logique positive offre une suite de développemens qui s’enchaînent, de méthodes qui se supposent, tellement que quiconque saura en donner un aperçu clair et succinct donnera en même temps un aperçu général de l’histoire des sciences et de leur évolution l’une à la suite de l’autre. C’est le propre de toute spéculation réelle sur l’histoire et la société de se présenter ainsi. Il doit y apparaître clairement que l’ordre de succession est nécessaire, et que ceci ne peut jamais être mis à la place de cela. Chaque phase de civilisation (et aucune phase essentielle ne peut être sautée) implique un état mental également incompatible avec le passé qui a été rejeté et avec l’avenir prématuré, si l’avenir, ce qui arrive quand un peuple civilisé entre en contact avec des populations arriérées, est offert ou imposé. Aucun principe n’a une application plus ample. Il condamne ces condamnations successivement portées par le christianisme contre le polythéisme, par la philosophie critique du XVIIIe siècle contre le christianisme ; il fait toucher du doigt l’impossibilité de passer, avant le temps, d’une science à une science, d’une idée à une idée, d’un ordre social à un ordre social, et il explique l’inutilité des efforts qui ont pour but de