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conçu il y a vingt ans, c’est-à-dire à l’époque du mouvement romantique. On était alors au plus fort de la réhabilitation du moyen-âge. À force de généraliser, de fixer la valeur absolue des choses, de décréter ce qui était le beau pour tous, le juste pour tous, le raisonnable pour tous, en un mot ce que tous devaient voir, penser et sentir, le XVIIIe siècle avait si bien réduit les individus à être uniquement des hommes en général, que c’était de toutes parts une véritable fureur pour échapper à ses axiomes et protester contre ses règles générales. En Allemagne, en Angleterre, en France, toutes les voix s’écriaient : Non, nous ne sommes pas seulement des hommes, nous sommes des Allemands, des Français, des Anglais, des chrétiens et des hommes du XIXe siècle. L’école historique de Savigny, les romans et les poèmes de Walter Scott et de Southey, les travaux de Niebuhr et de MM. Guizot et Thierry, furent autant de symptômes de cette réaction. Les historiens revinrent aux sources originales, et s’appliquèrent à faire ressortir dans les actes des anciennes générations les preuves et les manifestations de tout un système d’idées, d’instincts et de sentimens qui n’avaient rien de commun avec la raison de l’homme-type décrété tout d’une pièce. De son côté, la poésie se plut à prendre pour héros des Goths et des Vandales, à exhumer la littérature sanscrite, les Niebelungen, l’art du moyen-âge, comme autant de pièces justificatives contre les systèmes du XVIIIe siècle. Ce fut là une révolution fort sérieuse, beaucoup plus sérieuse qu’on ne l’a cru peut-être. Pour ma part, je serais tenté d’y voir un fait historique presque aussi important que le protestantisme. Le rationalisme de l’antiquité romaine, remis en honneur par la renaissance, venait de donner sa mesure, et l’Europe le traînait sur la claie. C’était le monde moderne qui, une fois encore, changeait de voie et reniait ses systèmes. Malheureusement, s’il devait sortir de ce mouvement des résultats sérieux, il en sortit aussi bien des enfantillages. Le moyen-âge devint une mode ; on s’en fit des joujoux, surtout en Allemagne. Avec Tieck et Owerbeck, la littérature et la peinture rivalisèrent d’affectation pour imiter la gaucherie des maîtres primitifs, pour calquer, dans les vieilles légendes et les vieux tableaux, tout ce qu’ils avaient de plus suranné et de plus contraire au développement moderne. Bref, l’Allemagne se laissa égarer par sa gallophobie. Parce que l’ascétisme du moyen-âge, c’est-à-dire le catholicisme germanisé par les barbares, se rapprochait plus de sa manière de sentir que la philosophie et l’art classiques avec leur plan géométrique de l’univers, elle s’imagina qu’elle était mystique et féodale à la manière du XIIIe siècle, à peu près comme les premiers écrivains de la restauration se crurent, en France, d’ardens catholiques par haine pour les doctrines de la révolution.

Que le poème d’Arthur ait été inspiré par ce qu’il y avait de moins