Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1038

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grace dans ses paysages, il nous peindra dans ses héros le type, absolu de la vertu ou de l’intelligence, abstraction faite des mille élémens qui, dans l’être le plus vertueux ou le plus intelligent, se combinent avec sa qualité principale. — Du même coup, il s’efforcera de caractériser toute une classe d’hommes, toute une race, toute l’humanité ; dans un seul jugement, il cherchera à condenser toute l’histoire et toute la philosophie. Sous ce rapport encore, il rappelle beaucoup le ton sentencieux de nos écrivains du dernier siècle et les axiomes ronflans des montagnards de tous les temps. Son style est tout-à-fait en harmonie avec celle prédilection pour les grandes généralisations. Il évite le mot propre et précis, tout ce qui accentuerait trop, tout ce qui mettrait sous nos yeux un objet dans ce qu’il a de particulier à lui seul, un sentiment dans ce qui en fait l’impression d’un homme et non d’un autre. Avec lui, en un mot, on n’est plus sur la terre, on n’est plus entouré de réalités. Le spécial et l’individuel sont anéantis ; il ne reste devant l’esprit que les modèles généraux, les prototypes imaginaires des variétés individuelles.

De tout cela, que conclure ? Que M. Bulwer est un poète de l’école classique. Si modernes que soient les matériaux de son poème et même de ses pensées, sa manière de les mettre en œuvre, sa poétique surtout, sont fort analogues au système de composition des Latins dans l’antiquité, des Français et des Italiens depuis la renaissance. L’art vers lequel il incline n’est nullement cet art naïf qui, de tout temps, a attiré les races germaniques, et qui n’est que l’expression sincère et fortement précisée des impressions et des conceptions de l’homme individuel. Loin de là, sa pente l’entraîne vers cet autre art, essentiellement systématique et habile, qui consiste à embellir le vrai (c’est-à-dire les idées que l’esprit s’en forme), à satisfaire, sans le fatiguer, le jugement en ne représentant que les élémens qu’il est habitué à percevoir dans les choses, mais à les grouper et à les disposer suivant d’autres lois que celles de la nature. Lui aussi, comme s’il avait du sang gallo-romain dans les veines, il trouve un charme secret à protester contre la réalité en cherchant à faire mieux qu’elle. Somme toute, il a beaucoup d’analogie avec Chateaubriand. Pour lui, le beau est toujours l’idéal, le doux mensonge, comme le grand style est toujours la diction d’apparat, le langage solennel, l’expression qui n’exprime pas seulement ce que l’on veut dire, qui traduit en même temps le désir de bien dire et le talent de dire autrement que tous ce que tous ont pu penser.

Cette poésie est-elle bien celle de l’avenir ? Je ne le crois pas, et il me semble en tout cas que les symboles et la fable que M. Bulwer a voulu donner pour parure à la philosophie de nos jours n’étaient nullement faits pour lui servir de vêtement. Son poème, nous dit-il, a été