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surer avec la vie ; après avoir oublié le monde dans la vallée fortunée, l’idéal domaine de l’amour, elle en sort toute meurtrie par le temple de la mort. La feuille amère qu’Arthur doit avoir mâchée pour acquérir le don d’apercevoir la dame du lac signifie sans doute qu’il faut s’être heurté contre la nécessité pour apprendre à renier l’hérésie du désir et les exigences du cœur. Au lendemain de l’amour, de la poursuite de l’impossible, quand la volonté se réveille pour chercher un nouveau but à la vie, c’est l’ambition qu’elle rencontre. Les épreuves de l’homme commencent alors. S’il choisit la voie de l’égoïsme, le talisman des forts ne lui appartiendra jamais. On ne devient ni un génie ni un héros en donnant pour unique but à ses efforts le succès ou l’admiration des hommes. Celui-là seul qui estime l’honneur plus que la renommée, fait de la « renommée son esclave, et non sa dominatrice. »

Jusque-là le sens symbolique est clair. L’épisode du bouclier de Thor, quoique moins explicite, laisse encore assez deviner l’intention philosophique du poète. Il ne s’agit plus maintenant d’idées générales sur la vie, mais sur l’humanité. Arthur a conquis le glaive de diamant, les Bretons ont un chef à la hauteur de sa tâche ; cela ne suffit pas : si l’énergie individuelle, l’épée d’un héros ou l’intelligence d’un législateur, peuvent affranchir les nations, ce n’est qu’à la condition de trouver en elles les élémens de toute indépendance. On ne saurait décréter ni improviser la liberté pour un peuple, pas plus qu’on ne saurait décréter pour lui l’activité et la prévoyance. La liberté ne peut être que la conséquence des facultés déjà développées dans ce peuple. Elle ne peut sortir que de son passé, elle ne peut naître que de la patience, du travail, de l’énergie et de la réflexion, qui sont les enfans de l’hiver. Le poète le dit lui-même : « Telle est la liberté, ô esclave qui désires être libre. Ses efforts réels pour s’enfanter, l’histoire ne les a jamais racontés. Telle qu’elle a été sera l’apocalypse des nations. C’est du fond des tombeaux, des os primordiaux de la terre, que la force patiente doit extraire le bouclier protecteur. À quoi les Bretons ont-ils dû leur liberté ? Ce n’est pas à des trônes renversés ni à des lois de parchemin. La charte d’émancipation date des tentes scythiques et de l’acier des lances normandes. Veux-tu savoir jusqu’où elle remonte ? Compte les années par milliers. »

Quant à ce royaume du vide qui s’étend devant les portes de fer, je dois avouer qu’il est quelque peu, pour moi comme pour Arthur, la région de l’impalpable. C’est sans doute un fort bel emblème que ce nuage immense au-dessus duquel Arthur entrevoit le vaste front immuablement serein du Destin-Nature, « qui de ses mains invisibles façonne incessamment avec le néant de la mort les multiples pompes de la vie, reprend la matière d’où l’esprit a fui, soumet à des lois les élémens en lutte, et fait entrer chaque atome coordonné dans des formes