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en lui sur les facultés sensitives. Cela se trahit à chaque ligne tombée de sa plume. Pour tous ceux qui considèrent surtout le poète comme le chantre des inexplicables frémissemens que la nature peut éveiller en nous, je doute fort que l’épopée d’Arthur soit bien sympathique. M. Bulwer ne me semble pas être un de ces trouveurs qui révèlent aux hommes une nouvelle manière de sentir et d’aimer la réalité, qui créent en quelque sorte un nouveau sens en découvrant dans les choses la puissance d’ébranler des fibres jusque-là silencieuses. Bien plus, il est rare qu’il exprime des impressions, neuves ou déjà exprimées par d’autres. D’ordinaire, il est métaphysique. Bien que l’on rencontre chez lui plus d’une image qui prend la réalité sur le fait, le plus souvent ses métaphores sont vagues ; les traits saillans des objets aiment à s’y noyer dans une sorte de brume intellectuelle, et les contours incertains de l’empreinte attestent clairement l’écrivain qui définit plutôt qu’il ne traduit des émotions. Presque toujours il compare le réel à l’abstrait. Il dira par exemple : « À travers le sang et la fumée brillait le bouclier d’argent clair comme l’aurore de la liberté sortant des batailles. » Ses rapprochemens, il est vrai, sont généralement ingénieux, ils supposent souvent beaucoup d’intelligence, mais ce sont des jeux d’esprit. Ils ne lui servent pas à peindre des rapports et des harmonies qui l’aient réellement frappé, arrêté au passage. La comparaison telle qu’il l’a comprise n’est qu’un ornement de parti pris. De même que ses images, ses tableaux semblent être un moyen plutôt qu’un but ; ils ne sont pas ce que l’auteur avait besoin de dire, ils sont seulement les conséquences d’un plan systématique.

Quel est donc le but, quel est le thème dont les peintures du poète peuvent être considérées comme les variations ? Tout d’abord il est évident que le héros au sabre de diamant a été, dans la pensée de M. Bulwer, l’emblème de l’influence qu’un passé héroïque peut exercer sur l’avenir. Arthur, c’est la noblesse des pères qui oblige leurs fils : c’est la mystérieuse source de ces souvenirs, de ces instincts nationaux et héréditaires que l’on respire dans l’air, qui ne sont ni des calculs intéressés ni des idées réfléchies, et qui font la grandeur des nations, comme la croyance en l’éternité de Rome a donné aux Romains l’empire du monde. En dehors de cette pensée générale, qui a probablement déterminé M. Bulwer à faire d’Arthur le sujet d’un poème, il est facile d’entrevoir d’autres intentions philosophiques sous chacune des parties ; de son récit. La fête du printemps, la vallée heureuse, la dame du lac, sont autant de phases de l’histoire de la vie. Le jeune roi demandant au ciel que ses heures puissent s’écouler au milieu des fleurs, c’est la sensuelle indolence de la jeunesse et sa soif de bonheur ; mais la conscience (plus souvent peut-être le besoin d’exercer ses facultés) vient arracher l’adolescence à ses premiers rêves : celle-ci part pour se me-