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ces dissonances dans le roman de M. Bulwer, elles suffisent pour que, sans qu’on sache trop pourquoi, les figures évoquées par l’écrivain apparaissent par momens comme des corps habités par des ames qui ne sont pas les leurs. M. Bulwer est possédé aussi d’un besoin trop constant d’idéaliser et de généraliser. Il a peine à se soumettre aux exigences du genre qu’il a adopté. Tout en écrivant un roman historique, c’est-à-dire tout en se proposant d’accentuer dans ses personnages les caractères spéciaux d’une race et d’une époque données, il aspire sans cesse à peindre sous leurs traits l’immuable et l’universel, les grandes lois de la nature humaine de tous les temps et de tous les lieux. C’est là, on le sent, tenter de concilier l’inconciliable. Qu’en résulte-t-il ? En voulant faire ressortir l’idée abstraite qu’il cache sous ses conceptions, il se laisse plus d’une fois aller à leur enlever leur individualité. Harold est tour à tour un héros saxon de chair et d’os et la personnification de cette vérité incorporelle que l’homme peut braver la superstition tant que le devoir est sa seule règle, mais qu’il devient son esclave du moment où l’ambition pénètre en lui. Édith aussi perd toute nationalité pour ne plus représenter que l’amour et son influence puissante.

Harold nous montre M. Bulwer se préparant à l’épopée par l’histoire : des tentatives plus anciennes nous l’avaient déjà montré préludant à sa dernière œuvre par la poésie. Dès 1831, l’ambition poétique de M. Bulwer se révélait, et depuis lors, à divers intervalles, il nous a donné sous son nom une traduction en vers des poésies de Schiller, deux drames également en vers, la Duchesse de La Vallière et Richelieu, plusieurs petits poèmes enfin, Milton, O’Neill ou l’Insurgé, et les Jumeaux siamois. Le dernier comme le plus important de ces essais poétiques est une agréable rapsodie qui rappelle assez le genre des satires de Thomas Moore, le Fudge Family, par exemple. Ainsi que le titre l’indique, il y est question, des jumeaux siamois, de leur voyage en Europe, de leurs amours et de mille autres choses. À propos de Siam comme à propos de Londres, le poète se permet maintes critiques, maintes plaisanteries, sur la politique, les sectes religieuses, l’aristocratie, que sais-je ? Souvent il a de l’esprit, c’est-à-dire une manière vive et preste de tourner des jugemens assez superficiels, et à travers ses saillies de gaieté sont semés des élans poétiques, des rêveries et des épisodes de sentiment où reparaît l’auteur de Pelham avec son imagination et sa philosophie lyrique. Somme toute, le poème a de l’entrain et plaît. En général, nulle poésie peut-être ne va mieux à M. Bulwer que la poésie bernesque, gaie ou moqueuse. — Comme il nous l’a dit, il est bien de l’école intellectuelle. Un je ne sais quoi de légèrement dédaigneux suffirait pour nous désigner en lui une de ces natures, qui sont plus portées à juger qu’à sentir, qui tirent leur