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mille. Nul ne peut prévoir quel rôle ces idées toutes nouvelles sont appelées à jouer dans le monde. Déjà, en tout cas, elles ont complètement transformé et l’art et la science historique. Pour nous en tenir à M. Bulwer, ce qu’il s’est avant tout appliqué à nous retracer, c’est la physionomie des trois races en présence c’est le Gallois turbulent, brave, incapable d’apprendre, et se faisant une gloire de l’imprévoyance ; le Normand astucieux, élégant, d’un tempérament poétique et religieux, d’une volonté infatigable ; le Saxon enfin, plus lourd et moins brillant, estimant plus la richesse que la naissance, et remarquable déjà plutôt par la résignation, par le mâle sentiment du devoir que par la chevaleresque passion de l’honneur.

En terminant sa préface, l’auteur de Harold s’exprime ainsi : « Mon but sera atteint, et il le sera seulement, si, après avoir fermé mon livre, le lecteur se trouve avoir acquis de cette époque héroïque une connaissance plus intime et plus claire que ne pourraient lui en donner les récits forcément succincts des historiens. » Ce but, M. Bulwer l’a certainement atteint, et il est à désirer qu’il continue (comme il s’y est presque engagé) à illustrer les premiers âges de l’Angleterre par une série de compositions romanesques. Que l’honneur en revienne quelque peu à notre époque, il n’importe : ce qu’il y a de certain, c’est que son tableau de la conquête normande révèle plus de véritable instinct historique que n’en ont montré la plupart des gros livres du XVIIIe siècle. À l’érudition et à la patience, M. Bulwer joint le talent de tirer parti des moindres données fournies par les vieux auteurs, de mettre en action les passions et les idées que son esprit a pressenties sous les événemens qu’il entreprend de nous retracer. Un des personnages de Harold, celui d’Hilda la vala (sorcière), est une conception qui n’eût guère pu être imaginée avant Niebuhr. Un romancier du dernier siècle n’eût pas manqué de nous représenter dans Hilda l’imposture exploitant la superstition. Il fût parti de l’idée que les sibylles saxonnes devaient penser et raisonner comme lui, et, pour s’expliquer comment elles avaient pu agir autrement que lui, il n’eût eu d’autre ressource que de les accuser d’une perpétuelle jonglerie. M. Bulwer, au contraire, nous a peint dans la vata une imagination folle de croyance et d’exaltation ; peut-être même a-t-il voulu symboliser en elle ce don de seconde vue que nous possédons tous par instans, quand toute notre science latente se condense soudain en une intuition qui n’est pas sortie de notre raison. En tout cas, il a cru à la sincérité de Hilda, et de la sorte il a trouvé le secret d’émouvoir. Si le souffle fantastique n’agite pas toujours les paroles de la prophétesse, ses entrées en scène vous envoient généralement à la face le vent de l’inconnu. Comme artiste, M. Bulwer a encore montré d’autres qualités : l’instinct du pittoresque et de la grandeur. La peinture des derniers momens de Godwin et tout le ca-