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Plus froid, sans être encor débile,
Je ne sens plus en moi brûler le feu sacré ;
Le Génie en mon sein, trop souvent immobile,
Ne s’éveille plus inspiré.

A peine une flamme inégale
Ranime dans mon sang un reste de vigueur,
Et de rares éclairs, jetés par intervalle,
Vient encore échauffer mon cœur.

Ce sentiment de desséchant regret et d’attente stérile, nous le surprenons encore au vif dans une page manuscrite où le poète s’épanche :

« 1er septembre (1823).

« Voici les jours de l’inspiration qui arrivent, voici la saison de la poésie, de la méditation, de l’enthousiasme. Produiront-ils quelque chose ? Cette saison si poétique sera-t-elle stérile ? Ai-je passé le temps de l’inspiration ? N’y a-t-il plus de beaux vers pour moi ? Poésie, belle comme l’amour et douce comme l’espérance, m’as-tu fui sans retour ? Ne connaîtrai-je plus tes chastes ardeurs et tes célestes ravissemens ?… Suis-je devenu tout-à-fait terrestre, et mon ame dépouillée de tes ailes ne doit-elle plus que ramper sur la terre ? — O Poésie, que j’ai tant aimée, remets-moi encore une fois sous ton charme ! Frappe-moi encore une fois de ton sceptre d’or ; fais-moi encore entendre une fois ta voix pénétrante et divine ! Encore une de tes inspirations, et je meurs content ! »

N’avez-vous jamais vu un arbre qui, touché de la foudre et découronné avant le temps, ne produit plus assez de feuillage pour cacher les jeunes nids dans ses rameaux, et qui ne sait plus que résonner d’un seul ton au vent d’automne ?

Chaque année il était comme René : il entrait avec anxiété dans le mois des tempêtes.

Enfin, les derniers vers trouvés sur un album, et intitulés Amertume, nous redisent la même plainte ; la grande tempête d’automne était venue et ne lui avait rien apporté :

Eh quoi ! terrible hiver, redoutable tempête !
Vainement vous avez éclaté dans les airs !
Vos longs mugissemens ont passé sur ma tête,
Sans réveiller en moi le saint amour des vers !

J’ai pu voir sous les coups de la vague écumante
Blanchir le cap grondant et l’écueil éloigné,
Et je suis resté sourd au cri de la tourmente
Qui n’a point eu d’écho dans mon sein indigné !

Ah ! oui, la poésie est morte dans mon ame !
Sur mon front j’ai senti s’éteindre ses rayons,
Et le génie ingrat, en m’enviant sa flamme,
Dans mes débiles mains a brisé mes crayons.