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corps, et je veux vous prouver que votre ouvrage est mauvais. » Quelques mois après, le même Journal de l’Empire insérait un article de Dussault (25 novembre 1807[1]) destiné évidemment à panser la plaie du poète, mais qui avait l’inconvénient de constater en public le non succès du poème. Cet appareil, mis tout exprès sur la blessure, était assez maladroit. Oh ! qu’Esménard s’entendait mieux à travailler ses succès et à insinuer ses vers !

En somme, si nous cherchons la cause de ce peu de succès du Génie de l’Homme dans des raisons plus intérieures et plus essentielles, nous la trouverons sans trop de peine. Chênedollé n’appartenait à aucune école bien définie. Nous l’avons vu se rattacher au groupe de 1802 ; mais il n’en est pas exclusivement et purement comme Fontanes et Joubert. Il y apportait d’autre part des impressions antérieures déjà fortes. Rivarol avait mis une première marque sur son esprit. Il avait admiré Klopstock, il avait visité Mme de Staël ; Delille l’attirait aussi. Il est un trait d’union entre ces divers groupes. Son dessein eût été de combiner en lui des maîtres bien différens : « Il faut inventer, disait-il, avec l’imagination de Rivarol, et corriger avec celle de Fontanes. » Or, le public aime assez les choses simples et les classemens bien nets, dût-il en résulter dans les productions quelque faiblesse. À moins d’un de ces rares miracles qui l’enlèvent, il veut une œuvre qui rentre autant que possible dans un genre connu, et, à première vue, il s’accommode mieux encore d’un poème de Campenon que de celui de Chênedollé[2].


X. – VIE DE RETRAITE. – UNE CANDIDATURE ACADÉMIQUE.

Les années qui suivirent cette publication furent, pour Chênedollé, des années assez heureuses. Nommé par M. de Fontanes professeur de littérature à Rouen (1810), bientôt ramené et fixé comme inspecteur de l’académie de Caen dans son pays natal (1812), marié dès 1810 à une digne compagne, Mlle de Banville, il oublia peu à peu ses tristesses, ses premiers orages, et put s’asseoir avec calme au milieu de la vie. Tout entier à ses devoirs nouveaux, à ses études chéries, à ses liens de famille, il passait la plus grande partie de l’année dans sa charmante campagne du Coisel, et pratiquait jour par jour cette poésie de la nature

  1. Annales littéraires de Dussault, tome II, page 389.
  2. Tout d’ailleurs ne fut pas mécompte pour le poète : il eut quelques chauds admirateurs. M. de Langeac, le traducteur des Bucoliques, ne parlait qu’avec enthousiasme de l’œuvre nouvelle, et s’écriait : « Esménard ! il le joue sous jambe. » (Toujours Esménard !) Le jour même de l’article de M. de Féletz, Chênedollé entra chez Saint-Ange, qui lui dit pour premier mot : Je vous ai lu, ça n’est que sublime. Chênedollé ne peut s’empêcher de sourire, mais il avoue que cela le consola un peu.