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Tout cela peut paraître frivole, mais les résultats sont sérieux. Une administration toujours étrangère au milieu d’une classe éclairée habituellement mécontente, une nation d’administrateurs, comme on l’a dit, superposée à une nation d’administrés, l’une nécessairement subordonnée, l’autre presque aussi fatalement opposante, voilà la Constitution sur laquelle nous avons essayé de greffer un gouvernement constitutionnel. M. de Barante le sait sans doute mieux que personne, car il l’a su presque avant tout le monde : c’est lui qui, dans un ouvrage publié il y a bientôt trente ans, et curieux à relire aujourd’hui, écrivait, au milieu du calme le plus profond, ces lignes qu’on dirait prophétiques Si la France continuait à n’offrir d’autre constitution sociale qu’un gouvernement et des sujets, on aurait vainement tenté de donner à ce gouvernement des formes de délibération et de liberté ; la nation n’en acquerrait ni plus de liberté ni plus de dignité. Le moindre changement arrivé dans la région élevée et étroite des pouvoirs politiques, un succès obtenu par surprise, une intrigue qui déplacerait quelques hommes, une sédition qui jetterait l’épouvante, après avoir tout changé au centre, trouveraient un peuple incapable de toute résistance régulière, un servile troupeau qui attend son sort sans savoir y influer Le gouvernement représentatif pose sur la constitution sociale du Bas-Empire ne pourrait y prendre racine, ne saurait y fructifier ; il ne serait bientôt plus qu’une forme vaine et mensongère[1].

Pour détourner ce funeste présage, qui n’a été que trop réalisé, M. de Barante demandait alors à la restauration gouvernant avec l’aide de M de Villèle, ce que les départemens demandent aujourd’hui à la république, l’extension des libertés locales. Il voulait partager entre les citoyens et l’administration l’exercice de l’autorité, pour partager également la responsabilité et rendre l’esprit politique plus commun. Pas plus qu’un autre gouvernement, la restauration ne se montrait pressée de se départir de la moindre parcelle de l’héritage de Napoléon. Espérons que la république sera mieux inspirée aujourd’hui que tous les partis successivement ne l’ont été depuis trente ans ; mais cela même ne suffirait pas. L’organisation des fonctions publiques appelle, nous le pensons, des réformes, et même assez profondes. Sans altérer l’uniformité de l’éducation, précieuse à conserver chez un peuple, il n’est pas impossible, nous le pensons, d’établir quelques rapports entre les différentes carrières et l’instruction donnée dès l’enfance, de manière à éviter l’encombrement étrange de concurrens qui se presse tous les ans, à la porte étroite des fonctions publiques. À l’entrée de toutes les carrières, il est possible d’établir des conditions d’admission sévères et sérieuses, qui avertissent les candidats et ne rendent

  1. Des Communes et de l’Aristocratie, par M. de Barante. 4 décembre 1821.