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faites donc croire à un jeune homme, avec la bonne opinion qu’on a de soi-même à vingt ans, qu’il y a en France deux ou trois mille personnes à lui préférer. Évidemment la faveur seule peut faire un choix ; l’injustice seule a pu dicter un refus. Sur dix jeunes gens qui viennent ainsi à Paris pour y monter le premier échelon de leur fortune, un peut-être va obtenir quelque modeste emploi de surnuméraire. Sept ou huit s’en vont retourner dans leur département, et rentrent l’esprit mécontent, la vanité froissée, dans des professions qu’ils trouvent plus humbles, bien qu’elles soient au fond plus indépendantes. Deux ou trois qui ont respiré l’air brûlant de la capitale, qui ne peuvent plus se passer de ce mouvement fébrile, de cette excitation constante qu’en y ressent, demeurent à Paris pour y poursuivre une vie aventureuse, pour y chercher fortune dans la presse, et consacrer à la destruction de l’état une activité dont il a dédaigné le concours.

Si ces portraits sont exacts, et nous croyons qu’il n’y a personne qui n’en connaisse plus d’un modèle, il ne faut plus s’étonner de l’impopularité habituelle d’une administration dont la base est pourtant au fond si populaire Tout simple particulier en France a un grief de fondation contre l’administration : c’est de ne pas en faire partie. Cette opposition est sourde ou publique, frondeuse ou violente : c’est une guerre ouverte ou un esprit de taquinerie, suivant les circonstances où les caractères, mais un fonds de mauvaise humeur est universel. Celui qui est en place a toujours, à son insu, fait tort à celui qui n’y est pas. Et maintenant, ces élus du sort qu’on appelle des fonctionnaires, que vont-ils devenir eux-mêmes ? Ici, encore une fois, s’ils rentraient dans leur pays, si c’était au milieu, des leurs qu’ils fussent appelés à exercer leur ministère, si des relations de famille les entouraient, si à leurs faibles appointemens se joignaient quelques propriétés privées et la considération qui s’y attache, leur tâche serait facile, et leur situation véritablement forte et élevée. Ils auraient des liens et des appuis autour d’eux. Ils deviendraient véritablement, comme M. de Barante les dépeint, une aristocratie locale, dans le sens bon et vrai du mot, c’est-à-dire qu’ils acquerraient, par leurs lumières, par l’habitude des affaires, par de saines traditions de famille, une influence naturelle sur tout ce qui les approche. Mais en est-il ainsi véritablement ? Nous craignons qu’il n’y ait là un peu d’exagération, et que M. de Barante n’ait vu les choses un peu plus comme elles devraient être que comme elles sont ? L’administration française a une habitude qui est presque un principe, ou tout au moins un instinct : c’est, si l’on ose ainsi parler, de dépayser systématiquement les employés d’envoyer les hommes du nord dans les départemens du midi, de forcer celui qui a parlé basque toute son enfance à aller en Alsace défigurer l’allemand des bords du Rhin, et le Bas-Breton a apprendre, s’il peut, le patois languedocien C’est une règle à peu près invariable, dans tous les bureaux, d’employer le moins possible