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lieux. L’opération du déblaiement serait extrêmement facile et très peu coûteuse. Cette fouille, faite à coup fûr, rendrait à la lumière des pans de muraille qui sont à la fois des tableaux et des manuscrits.

Un des objets d’étude les plus intéressans que présentent les monumens égyptiens, ce sont les surcharges. On nomme ainsi l’opération par laquelle on a substitué un personnage ou une inscription à un autre personnage ou à une autre inscription. Quelquefois la figure ou l’hiéroglyphe effacés ont laissé une trace suffisante pour être reconnus, quelquefois ils ont disparu entièrement. Ce sont des palimpsestes monumentaux sous lesquels il est souvent impossible de reconnaître le texte primitif ; mais le fait seul de la substitution opérée est un fait curieux et qui jette l’esprit dans le champ des conjectures. Ainsi on se demande pourquoi l’hiéroglyphe du dieu Seth, qui figure dans le nom du roi Sethos, père du grand Ramsès, a été effacé presque toujours des cartouches de ce roi. En voyant ce nom Seth devenir celui du mauvais principe dans les derniers temps de l’égyptianisme, on s’explique jusqu’à un certain point comment le dieu qui le portait a pu être, à une époque antérieure et dans des circonstances que nous ignorons, dégradé, pour ainsi dire, persécuté, aboli par le culte et les prêtres d’un dieu rival. Ce simple fait de l’effacement de la syllabe divine qui forme le nom du roi Sethos nous révèle donc une révolution religieuse survenue après l’intronisation de la dix-neuvième dynastie. Divers monumens de Thèbes offrent des exemples de pareilles substitutions, mais aucun n’est plus curieux que ceux que présente le petit temple Nubien d’Amada. Partout, dans ce temple, le nom du roi Amenophis (Amen-otf), dont les deux premières syllabes sont formées par le nom du dieu Ammon, a remplacé un nom plus ancien qui a disparu. Partout aussi le nom et la figure d’Ammon remplacent le nom et la figure d’un autre dieu. La substitution est manifeste ; de plus, on remarque que la figure nouvelle et les hiéroglyphes du nom nouveau sont beaucoup plus grossiers que le reste des figures et des hiéroglyphes. Comment expliquer ce singulier phénomène ? Probablement ici encore une révolution religieuse s’est accomplie. Le dieu Ammon a remplacé un dieu condamné, le culte vainqueur a voulu faire disparaître le nom et l’image de ce dieu proscrit, et cette persécution du nom divin détrôné s’est étendue, chose remarquable, jusqu’au nom du roi Aménophis, auquel il fournissait ses deux premières syllabes. Ces simples changemens attestent une révolution religieuse qui a soulevé probablement bien des passions, bien des luttes acharnées, et aujourd’hui nulle trace ne subsisterait de ce grand événement qui a agité un âge antique, si la découverte de Champollion ne nous en révélait le souvenir dans quelques hiéroglyphes effacés.