Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ardeur, impatient seulement parfois qu’on n’y allât ni assez vite, ni assez franchement. À la seconde, il a assisté avec défiance d’abord, avec raillerie ensuite, enfin avec murmure et colère. La même différence, ou pour mieux parler, la même opposition s’est fait sentir, toutes proportions convenables gardées d’ailleurs, chez les conventionnels de 93. Il y a eu aussi ce qu’ils ont fait et ce qu’on leur a fait faire. Le souffle puissant qui, l’été dernier, soulevait la France entière pour la défense de la société compromise, la poussait alors, unanime aussi, à la libération de son territoire. Telle que le socialisme l’a vue frémissante et indignée se dresser devant lui, les armées de l’invasion la rencontraient sur la frontière et la trouvaient d’étape en étape. C’était un mouvement du même genre, c’était une passion du même ordre, c’était le même cri que nous avons entendu, partant du fond des chaumières, le même tressaillement des entrailles du sol. Les réquisitions partaient du même pas que nous avons vu défiler les gardes nationales rurales. Quand une nation en est là, tout lui est bon ; tout bois devient arme, tout homme pénétré de son esprit devient grand politique et grand général entre ses mains. Combien en avons-nous vu, depuis dix mois, improvisés de la sorte et dont nous cherchons aujourd’hui jusqu’aux vestiges : présidens d’assemblée, commandans de troupe, préfets de police, que de héros de circonstance dont nous avons déjà fait justice ! La convention suivit le mouvement ; pouvait-elle s’y soustraire ? Elle s’en fit un jour l’interprète violent, gauche, maladroit, écrivant de travers et d’une main irrégulière sous la dictée d’un pays irrité. Ses ordres confus, ses désorganisations systématiques, ses proscriptions de généraux, l’indiscipline qu’elle répandait dans les camps a coûté plus d’une victoire. La France alors, comme nous l’avons vu faire aujourd’hui, trouvait dans son énergie intérieure de quoi briser l’effort de ses ennemis et couvrir en même temps les fautes de ses chefs. Mais ce que la convention fit d’elle-même et de la plénitude du cœur, pour ainsi dire, ce qu’elle envoyait au dehors par ses commissaires, ce qu’elle soufflait sur le pays par ses proconsuls, c’était la soif du sang, l’esprit de proscription et de vengeance et la servile soumission aux caprices de la multitude ; ce sont là ses œuvres propres, ses titres de gloire personnels. Le reste appartient à la France. Il n’y a point de solidarité entre ces parties d’une même histoire. Quelle étrange compensation veut-on établir entre le sang innocent répandu sur la place de la Révolution et le sang généreux qui teignit les plaines de Jemmapes ? En quoi l’un pouvait-il servir à l’autre ? Étrange manière de fortifier un pays que de le saigner ainsi des quatre membres ! Quoi, pour trouver Moreau et Bonaparte, il était nécessaire d’immoler Custine et Biron, d’exaspérer Dumouriez, de précipiter Lafayette dans les prisons des alliés ! À ce compte, pour nous faire trouver le général Changarnier, il était donc