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M. de Lamartine en lui adressant ce reproche. Qu’il s’agisse, en effet d’un rocher, d’un chêne, d’un lac, d’un torrent, d’une figure humaine il ne consent presque jamais à peindre ce qu’il a vu ; il ne se résigne pas à nous offrir le spectacle que ses yeux ont contemplé. Il commence par prodiguer les couleurs ; puis, quand les couleurs lui manquent, il se réfugie dans l’infini, et nous perdons de vue tout ce qu’il a voulu nous montrer.

Il se trouvera sans doute des amis complaisans qui vanteront cette méthode comme un prodige de grandeur et de puissance, qui joueront comme une merveille, comme une faculté divine cette confusion de couleurs ; ce mépris pour les lignes nettement déterminées, pour les contours franchement accusés ; pour moi, je le déclare sans hésiter, dût-on me traiter d’esprit mesquin, cette passion obstinée pour l’infini viole une des lois les plus importantes de la poésie, la variété. Ce dédain pour les lignes et les contours du monde réel imprime à tous les récits, à toutes les descriptions, une singulière monotonie. Notre intelligence est ainsi faite, nous ne comprenons pas la variété sans la précision. Dès que les lignes et les contours deviennent vagues, indéterminés, l’uniformité remplace la variété ; dès que l’infini envahit, absorbe toute chose, efface toutes les nuances, confond toutes les pensée, l’émotion poétique se dénature, et n’est plus qu’un éblouissement.

Le style de Raphaël, au lieu de nous montrer nettement ce que le poète a senti, ce qu’il a voulu, ce qu’il a espéré, nous offre presque toujours trois ou quatre images entre lesquelles nous devons choisir. L’auteur, comme s’il craignait le reproche d’indigence en avouant sa prédilection, en choisissant lui-même l’image qui rend le mieux sa pensée, se complaît dans la profusion, et prodigue la lumière sans diriger les rayons sur les figures qu’il veut éclairer. Le style de Raphaël ressemble à ces ébauches où le peintre, délibérant avec lui-même, n’ayant encore rien décidé d’une manière définitive, essaie tour à tour les lignes et les tons qui se présentent à sa pensée. On dirait que M. de Lamartine tient à nous prouver qu’il possède une palette opulente, et ne veut pas prendre la peine de peindre.

Les commentaires qu’il annonce, qui doivent nous expliquer les Méditations, les Harmonies et Jocelyn, qui nous diront le jour et le lieu où chaque pièce a été composée, seront-ils conçus d’après le même système, seront-ils écrits dans le même style que les Confidences et Raphaël ? Il est permis de le craindre, et cette conjecture n’est pas la seule qui nous afflige. En nous racontant les moindres circonstances de sa vie poétique, en nous disant comment, en quelle occasion sont nées les élégies que nous lisons avec un pieux recueillement, les hymnes radieux qui ont enchanté notre jeunesse, les odes ailées qui nous ont emportés dans le monde des visions, M. de Lamartine, j’en ai grand’-