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et la beauté un mur d’airain : elle ne pourrait se donner sans mourir. Elle ne mourrait pas de honte de désespoir, elle n’expierait pas sa faute par une mort volontaire ; elle n’a jamais conçu, elle ne peut concevoir une telle pensée. Son cœur éclaterait et le sang inonderait sa poitrine : c’est l’avis des médecins. Quel amant ne reculerait devant cette parole menaçante ? Raphaël renonce à la possession de Julie, car il ne peut souhaiter un bonheur que Julie paierait de sa vie. Une telle défense, il faut bien le dire, n’a rien de poétique. La chasteté sans combat, dans le silence des sens, la chasteté présentée comme moyen de conservation, réduite à une question de physiologie, perd toute sa grandeur, et la figure de Julie qui avant ce triste aveu, semblait animée d’une grace angélique, se ternit tout à coup après cette révélation. Et non-seulement la chasteté de Julie perd ainsi toute valeur morale, mais la résignation même de Raphaël est sans mérite. L’amant qui lutte contre ses désirs, pour épargner un remords à la femme qu’il aime, peut s’applaudir de son sacrifice comme de l’accomplissement d’un devoir ; mais renoncer à la possession d’une femme pour ne pas la tuer, s’éloigner d’elle pour ne pas avoir sa mort à se reprocher, n’est-ce pas l’action du monde la plus vulgaire ?

Le défaut général de Raphaël, qui se retrouve presque à chaque page, c’est l’abus de l’infini. Ce défaut se montre aussi parfois dans les Confidences ; mais il n’a pas, comme dans Raphaël, un caractère systématique. Il semble que M. de Lamartine, en nous racontant cet épisode de sa vie, ait résolu, dès les premières pages, de transfigurer les personnages et le paysage où il les plaçait. Il ne peut se résigner à nous montrer les hommes et les choses avec les propositions que Dieu leur a données ; il veut à chaque instant les agrandir, en changer la couleur, l’expression. Il se complaît tellement dans ce travail, il confond si assidument les trois règnes de la nature, il prête si volontiers aux pierres la vie des plantes, aux plantes la pensée humaine ; il traite avec un dédain si superbe, il répudie si obstinément comme indigne de son pinceau tout ce qui se présente à lui sous une forme déterminée ; il efface avec tant de persévérance toutes les limites qui marquent nettement le commencement et la fin d’une figure, d’un sentiment, d’une pensée ; il professe pour le monde fini au milieu duquel nous vivons un mépris si constant ; il nous emporte si souvent dans le monde de l’infini, que le regard ébloui se fatigue à le suivre. L’attention la plus vigilante ne suffit pas toujours pour deviner le sens caché au fond de ses paroles. L’esprit du lecteur a beau interroger l’image, il ne réussit pas constamment à pénétrer l’intention du poète. L’infini, que nous pouvons rêver, mais que nos yeux ne peuvent apercevoir, perd bientôt son prix, et nous rebute, comme une idée vulgaire, dès qu’on veut nous en parler à chaque page. Or, je ne crois pas être injuste envers