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Système du Monde et aux pages les plus ardentes de la Nouvelle Héloïse ? comment Laplace et Rousseau empruntent-ils la même voix ? Je ne vois qu’une seule manière de répondre à cette question c’est d’admettre la sincérité parfaite du narrateur. L’invention, réduite à ses seules ressources, n’eût jamais trouvé moyen de surmonter une telle difficulté ; pour en triompher, M. de Lamartine n’a eu qu’à se souvenir.

Nous devons d’ailleurs à l’athéisme de Julie une scène vraiment sublime. Cette jeune femme qui, depuis dix ans, a vécu de la seule vie de l’intelligence, qui n’a compris, qui n’a cherché le bonheur que sous la forme de la vérité, qui a vu dans la pensée élevée à sa plus haute puissance le premier des devoirs humains, et qui pourtant n’a jamais compris la vérité tout entière, se transforme et se rajeunit dès qu’elle aime, et l’attendrissement ouvre à son intelligence tout un monde nouveau, le monde des idées morales et religieuses. Dans la solitude et l’indifférence, elle demeurait incrédule ; la science du monde extérieur ne lui montrait dans la vie qu’une épreuve douloureuse, sans dédommagement, sans récompense ; l’amour profond et sincère lui révèle Dieu. Julie arrive à la foi par la reconnaissance. L’amour qu’elle ressent, l’amour qu’elle inspire, inonde son cœur d’une joie si abondante et si pure ; la nature, dont elle croyait avoir pénétré tous les secrets, se montre à elle sous un aspect si merveilleux et si nouveau, qu’elle monte jusqu’à Dieu par la pensée pour s’agenouiller à ses pieds, pour le remercier, pour le bénir, pour saluer en lui la cause première et suprême, la source éternelle de toute vérité. Or, sans l’athéisme de Julie, sans l’incrédulité obstinée qui nous frappe d’abord si douloureusement, nous n’aurions pas cette scène admirable, cet entretien délicieux où l’ame de la jeune femme se régénère par l’attendrissement, où le bonheur devient clairvoyance, où le besoin d’exprimer l’émotion toute-puissante qui la domine enseigne à sa bouche un nom nouveau, le nom du Créateur. Les pensées que les deux amans échangent entre eux, l’ivresse de leurs aveux, qu’ils ne se lassent pas de renouveler, ces paroles d’amour qui ne changent jamais, qu’ils entendent et répètent toujours avec un bonheur nouveau, leurs espérances qu’ils confondent, composent un dialogue plein de grandeur et de passion. C’est tour à tour la gravité sévère de la philosophie, la grace, la tendresse de la poésie, la vérité parlant, comme au cap Sunium, une langue harmonieuse et pénétrante, l’amour soupirant comme sur le balcon de Juliette quand le jour se lève et que l’alouette se met à chanter. Par un bonheur singulier, M. de Lamartine a trouvé moyen de concilier l’éternelle jeunesse de la passion et l’éternelle splendeur de la vérité. Le passage de l’incrédulité à la foi, la leçon donnée à l’intelligence par le cœur, sont racontés par M. de Lamartine avec une limpidité qui ne laisse rien à désirer. Nous assistons avec bonheur à l’initiation de cette