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vie d’hier, toute sa colère, toute son ironie, tout son mépris. Cette réaction, si naturelle chez les ames généreuses, a trouvé dans M. de Lamartine un observateur studieux, un peintre fidèle. Toutes les métamorphoses que j’ai tâché d’indiquer sont racontées dans Raphaël avec une rare vivacité d’expression. Le lecteur a sous les yeux l’ame du héros, et le voit d’heure en heure se relever, se rajeunir ; un tel tableau, pour nous intéresser, demandait un pinceau habile ; il fallait que le philosophe se cachât sous le poète, sans oublier pourtant le véritable caractère de la tâche qu’il avait entreprise. M. de Lamartine me paraît avoir pleinement compris toutes les conditions que j’énumère ; il a victorieusement résolu le problème qu’il s’était posé.

L’objet de cet amour mystique auquel Raphaël est préparé par la solitude et la rêverie n’est pas dessiné avec moins de puissance et d’habileté. Julie, orpheline de bonne heure, au lieu de garder comme un guide fidèle et sûr l’éducation religieuse de sa jeunesse, a exercé sa pensée sur toutes les questions scientifiques. Mariée à l’âge de dix-huit ans, elle a trouvé dans le vieillard dont elle porte le nom un ami dévoué dont l’affection toute paternelle ne lui laisse pas le temps de former un souhait, mais dont l’intelligence ne reconnaît d’autres vérités que celles qui peuvent se démontrer mathématiquement ou par le témoignage des sens. Julie, sous la conduite d’un tel maître, aborde sans frayeur, sans dégoût, sans impatience, toutes les énigmes que Dieu a proposées à la curiosité humaine. Depuis le brin d’herbe qu’elle foule au pied jusqu’aux astres qui gravitent dans l’espace, elle étudie tout ; elle interroge d’un œil curieux les trois règnes de la nature, depuis les entrailles de la terre jusqu’à l’organisation de l’homme. Tout ce que la raison, peut comprendre, tout ce que les sens peuvent enseigner à l’intelligence, Julie, pour contenter son mari, se résigne à l’étudier. Dans cette contemplation assidue du monde extérieur, l’esprit de la jeune fille acquiert, on le comprend sans peine, une pénétration singulière. Sans poursuivre avec prédilection un ordre déterminé de vérités, sans marcher résolûment sur les pas de Newton, de Linnée ou de Bichat, Julie entasse dans sa mémoire toutes les idées générales dont la réunion forme la science moderne. Elle ne s’attache pas à connaître tous les détails techniques dont se compose la démonstration de ces idées ; elle accepte comme vrai tout ce qui est accepté par l’intelligence de son mari, et accorde à ses leçons une confiance absolue. Une jeune fille ainsi élevée n’a rien de séduisant, je l’avoue ; mais nous ne devons pas oublier que Raphaël n’est pas un roman. Puisque M. de Lamartine nous raconte sa vie, nous ne pouvons trouver mauvais qu’il nous offre le portrait d’une femme savante, si cette femme a joué dans sa vie un rôle important, si elle a laissé dans son cœur une trace profonde. D’ailleurs cette femme savante, qui veut tout connaître, qui fait