Il a trouvé plus naturel d’adresser à son héros les louanges qui, pour avoir quelque valeur, ne doivent pas s’échapper des lèvres mêmes de l’homme qui les reçoit. Je lui pardonne bien volontiers ce puéril artifice, et je n’aurais pas songé à le signaler, s’il n’y avait entre ces premières pages et le corps même du récit une intime relation. En douant si richement son héros, en lui prodiguant si étourdiment les plus hautes facultés, il excite dans l’ame du lecteur une si prodigieuse attente, que les plus grandes pensées, les sentimens les plus purs, les espérances les plus élevées, les regrets les plus sincères, demeurent au-dessous de l’idéal que nous avons rêvé. Il y a long-temps qu’on l’a dit : dans l’ordre poétique, aussi bien que dans la vie réelle, il faut toujours se montrer avare de promesses ; autrement on se condamne à rester bien loin de son programme. Comment voulez-vous que le lecteur juge avec indulgence un héros qui peut à son choix devenir Dante, Raphaël ou Mozart, concevoir, enfanter, selon son caprice, l’École d’Athènes, la Divine Comédie ou Don Juan ? Le poète aura beau faire, il ne contentera jamais pleinement l’attente du lecteur.
Toutefois, malgré ce vice capital, l’épisode de Raphaël mérite d’être étudié sérieusement. Il y a dans ce livre des qualités éminentes, des éclairs que le génie seul peut rencontrer. Si M. de Lamartine s’est trompé, il est curieux de voir comment il se trompe ; car l’erreur d’une intelligence comme la sienne est toujours féconde en enseignemens. Raphaël est arrivé au désenchantement par le désordre. Il a gaspillé sa jeunesse, gaspillé son cœur ; livré à des passions éphémères, ou plutôt à des caprices qui ne laissent dans la mémoire aucune trace profonde, il voit s’énerver de jour en jour les facultés puissantes qu’il a reçues du ciel. L’oisiveté agit sur son intelligence comme le dérèglement sur son cœur. L’ennui le dévore, et l’orgueil lui ferme toutes les carrières en lui montrant partout un but indigne de son ambition. Raphaël, parvenu, à sa vingtième année, croit sincèrement avoir épuisé toutes les émotions de la vie. Les passions ne l’attirent plus, car elles n’ont plus rien à lui apprendre, il croit en connaître tous les secrets. Au lieu de s’avouer franchement le néant des plaisirs tumultueux qu’il a pris pour le bonheur, il se drape dans sa tristesse et dit adieu aux affections humaines, comme s’il avait perdu sans retour, comme s’il ne devait jamais retrouver la faculté d’aimer. Au lieu de chercher dans l’accomplissement du devoir le renouvellement de ses forces usées par l’oisiveté, il accuse les hommes d’injustice, d’aveuglement, il se dit méconnu et se croise les bras ; au lieu de montrer ce qu’il peut, ce qu’il sait, pour dessiller les yeux de ses juges, il s’enferme follement dans la solitude et l’inaction. Personne, je crois, ne contestera la vérité du caractère tracé par M. de Lamartine. Toute proportion gardée, bien entendu, le type de Raphaël s’offre à nous presque à chaque pas. Il nous arrive