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rencontrer sur sa route un cœur aussi pur, aussi candide, aussi passionné, fût-on incapable de partager l’amour qu’on lui inspire, il faut le traiter avec respect, avec piété, et ne pas l’abandonner comme un hochet inutile après s’être donné le spectacle de cet amour condamné au désespoir. Je voudrais pouvoir louer les vers que M. de Lamartine a consacrés à la mémoire de Graziella ; je voudrais trouver dans l’expression de sa douleur, de son remords, un accent sincère, une éloquence pénétrante. Pourquoi faut-il que je sois forcé de juger l’œuvre du poète aussi sévèrement que l’action à jamais regrettable sans laquelle cette œuvre ne serait pas née ? Il y a sans doute dans l’amour de Graziella quelques détails dont la vérité peut être contestée, et qui n’appartiennent pas précisément à la Mergellina : parfois l’héroïne de Procida oublie son origine, et laisse échapper des paroles empreintes d’un caractère un peu trop pastoral ; mais ces taches légères disparaissent dans le ton général du récit. La lecture de Paul et Virginie est une des scènes les plus attendrissantes dont j’aie gardé le souvenir. Cette intelligence presque sauvage qui s’éveille à la poésie en écoutant l’histoire de deux enfans épris l’un de l’autre a quelque chose de singulièrement émouvant. Il semble que le nom de Bernardin de Saint-Pierre ait porté bonheur à M. de Lamartine, car les pages qui nous retracent cette lecture, plusieurs fois interrompue par les sanglots de Graziella, ont une simplicité, une sobriété de style que Bernardin ne désavouerait pas.

L’épisode de Graziella donne aux Confidences une grande valeur poétique. Je regrette bien vivement que l’auteur n’ait pas compris la nécessité de clore son récit à la mort de Graziella. Les deux derniers livres de ses souvenirs sont très loin assurément d’offrir le même intérêt, la même émotion. Ses réflexions chagrines sur le retour de Napoléon, sur la retraite du roi, ne plairont à personne. Le portrait de Joseph de Maistre ne révèle pas une connaissance profonde des Soirées de Saint-Pétersbourg. La touchante figure de Marguerite ne rachète pas la monotonie et la sécheresse de ces deux derniers livres.

Raphaël forme la seconde partie des Confidences. À cet égard, le doute n’est pas permis, et l’auteur a pris soin de le prévenir en attribuant à son héros une ode signée de son nom, l’ode adressée à M. de Bonald. Il faut donc voir dans Raphaël, non pas un roman, comme le titre semblerait l’indiquer, mais une étude autobiographique. Si M. de Lamartine, pour continuer ses Confidences, a changé la forme du récit, c’est qu’il espérait sans doute trouver dans cette forme nouvelle une plus grande liberté. Les quelques pages qui précèdent Raphaël nous confirment dans cette conjecture. Pouvait-il, en effet, parlant en son nom, dire de lui-même ce qu’il dit de Raphaël ? Pouvait-il vanter l’admirable beauté de son visage, l’expression angélique de son regard ? Pouvait-il se promettre la gloire de Raphaël, de Mozart ou de Dante ?