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bûcherons qui ont vieilli à l’ombre des chênes, dans les vignerons qui ont cueilli depuis trente ans les grappes vermeilles, dans les bergers qui gardent les troupeaux une famille qui se disperserait si le patrimoine était divisé, c’est un sentiment plein de grandeur ; mais demander au récit d’une vie passionnée, demander aux battemens de son cœur l’or dont il a besoin pour ne pas morceler le patrimoine de sa famille, dérouler jour par jour, raconter page à page toutes les émotions qui ont troublé sa jeunesse, confier au public toutes les paroles ardentes qui se sont échappées de ses lèvres, tous les sermens qu’il a reçus, toutes les prières qu’il a balbutiées, tous les aveux qu’il a entendus, n’est-ce pas pour le cœur une profanation plus coupable que le morcellement d’une vigne ou d’une forêt, que la vente d’un champ ou d’un troupeau ? Respecter les pins séculaires à l’ombre desquels nous avons grandi, les champs dont la moisson nous a donné le pain de chaque jour, les vignes dont les grappes généreuses ont renouvelé nos forces, c’est penser noblement ; mais les passions qui nous ont agités, mais es joies divines que l’amour nous a données, les larmes brûlantes que nous avons répandues, n’ont-elles pas droit au même respect que les forêts et les troupeaux, la vigne et les moissons ? Les grappes mûres sous lesquelles le cep fléchit, les moissons dorées qui couvrent la plaine sont-elles donc plus sacrées que les aveux d’un cœur qui a battu sur le nôtre, que les paroles apportées sur nos lèvres par des lèvres ardentes ? Si la terre que nos aïeux nous ont transmise est une partie de nous-mêmes, si nous devons lutter de toutes nos forces pour la garder tout entière, devons-nous livrer à la curiosité oisive le secret des affections que nous avons inspirées, que nous avons partagées ? N’est-ce pas aliéner notre cœur et le cœur qui a vécu en nous ?

Toutes ces objections si graves, si évidentes, sont exposées par M. de Lamartine avec une parfaite franchise, et pourtant M. de Lamartine a passé outre, et nous avons les Confidences. Ce livre si impatiemment attendu, qui excitait chez les admirateurs des Méditations, des Harmonies, de Jocelyn, une curiosité si vive, a-t-il pleinement répondu à toutes les espérances que le titre seul avait éveillées ? Je ne le crois pas. Il y a sans doute dans les Confidences des pages pleines de grace et d’entraînement, empreintes d’une naïveté délicieuse, des pages qui luttent de jeunesse et de fraîcheur avec les Méditations et les Harmonies ; mais, à côté de ces pages que le génie seul, et le génie le plus heureux, peut concevoir, qui vivent, qui palpitent, qui émeuvent, qui attendrissent, qui amènent les larmes au bord de la paupière, combien de pages puériles et vides ! J’hésite d’autant moins à dire toute ma pensée, à exprimer sincèrement ce que j’ai senti, que je professe pour M. de Lamartine l’admiration la plus profonde. Personne, j’ose le dire, parmi ceux qui le flattent, qui lui prodiguent l’encens, qui applaudissent