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par un cœur vraiment généreux. Offrir le passé en holocauste au présent est, à mes yeux, un sacrilège. Si nous voulons mériter la confiance du cœur qui s’est donné à nous, il ne faut pas nous montrer impie envers le passé. Ne brûlons pas comme une paille inutile, ne livrons pas au vent toutes les pages de notre vie ; en racontant les épreuves que nous avons traversées, soyons justes, soyons sévères, mais ne soyons pas ingrats. Le récit complet et sincère de notre vie, pourvu que nous sachions voiler ce qui doit rester entre Dieu et notre conscience, n’a rien d’impie, rien de sacrilège ; C’est une manière nouvelle de nous donner au cœur qui nous aime ; raconter nos souvenirs pour qu’il prenne possession de nous jusque dans le passé est une forme de tendresse que la raison la plus sévère, l’ame la plus ombrageuse ne saurait condamner.

Mais, s’il est permis, s’il est parfois salutaire de se révéler tout entier aux regards d’un cœur qui nous aime, que faut-il penser d’un récit de cette nature livré à la curiosité publique ? N’est-ce pas profaner le sanctuaire de la conscience que de l’ouvrir comme un bazar à tous les esprits indifférens qui cherchent dans nos souvenirs une distraction pour leur oisiveté ? N’y a-t-il pas quelque chose d’affligeant à voir chaque battement de cœur devenir pour la foule un sujet d’applaudissement ou de raillerie ? Que la foule batte des mains au spectacle de nos souffrances, ou qu’elle se montre sans pitié pour les larmes que nous avons versées, pour le sang que nous avons perdu, qu’elle interroge d’un doigt cruel nos blessures béantes où qu’elle compte nos plaies d’un œil attendri, n’y a-t-il pas dans ce rôle quelque chose que le cœur désavoue, que la dignité virile répudie ? Diviser ses angoisses en livres et en chapitres, découper la trame de sa vie en épisodes joyeux ou attendris, offrir en pâture aux désœuvrés toutes les extases qui nous ont ouvert le ciel, toutes les heures désolées où nous avons souhaité la mort, n’est-ce pas descendre jusqu’au rôle des gladiateurs antiques ? Les gladiateurs saluaient la foule avant de mourir ; aujourd’hui César s’appelle la foule, c’est devant la foule que l’auteur s’incline avant de commencer le récit de ses souffrances. M. de Lamartine a bien senti tout ce qu’il y a d’étrange dans un tel récit adressé au public ; il a prévu le reproche et tenté de se justifier. Pour ma part, je l’avoue, tout en reconnaissant la noblesse, la générosité des sentimens qui l’attachent au patrimoine de sa famille, je ne puis m’empêcher de blâmer le parti qu’il a choisi. Ne pas vouloir abandonner les forêts qui ont vu ses premiers jours, qui ont été témoins de ses premières rêveries, est une résolution qui mérite nos éloges ; respecter comme un tabernacle, garder comme un trésor sans prix la maison où il a reçu les premières leçons de sa mère, c’est agir à merveille. J’applaudis de toute mon ame à cette pieuse pensée. Voir dans les