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avons répandues, à nous reporter par la mémoire vers les lieux témoins de nos extases, de nos défaillances. Cet entretien mystérieux de l’homme avec lui-même n’est pas un entretien stérile. Chacun de nous porte dans sa conscience une leçon vivante, un conseiller toujours prêt à répondre ; l’image du passé, pour un œil clairvoyant, a toujours un sens prophétique, et l’ame n’est vraiment forte, vraiment grande qu’à la condition de pouvoir à toute heure, en toute occasion, rappeler sous son regard les jours qui ne sont plus. Sans cette faculté toute-puissante, elle se trouve trop souvent prise au dépourvu. Le présent la domine et l’avenir s’offre à elle sous un aspect décourageant. Celui qui détourne les yeux du livre de sa conscience, qui redoute le passé comme une ombre menaçante, qui n’ose pas regarder face à face les joies qu’il a saluées comme éternelles les douleurs qu’il a proclamées inconsolables, et qui ne sont plus pour lui qu’un objet de pitié, se condamne à ne voir jamais finir l’enfance de son cœur. Mais ce livre, dont chaque page est un enseignement, doit être lu par celui qui l’a écrit. C’est aux yeux qui ont répandu les larmes dont il est arrosé qu’il appartient de l’interroger, ou, s’il est permis de l’ouvrir, de l’exposer aux regards, c’est devant un ami, devant un cœur uni à nous par les liens d’une affection fraternelle.

Raconter sa vie, jour par jour, devant une ame qui est tout pour nous, que nous-mêmes nous remplissons tout entière, est un dessein que je ne saurais blâmer. Il y a en effet, dans cet aveu loyal et sincère de nos fautes, dans le récit des joies que nous avons perdues, quelque chose de fortifiant, qui donne à l’affection une sève nouvelle ; ce témoignage de confiance absolue ajoute à l’intimité la plus douce un charme nouveau et rajeunit le cœur même qui ne craint pas l’image du passé. Dire au cœur qui nous aime, au cœur qui nous appartient, toutes les émotions que nous avons éprouvées, n’est-ce pas l’inviter, n’est-ce pas l’obliger à nous chérir plus tendrement ? Livrer à son regard, soumettre à son jugement nos heures joyeuses et nos heures éplorées, n’est-ce pas lui prouver que nous voulons nous confondre avec lui tout entiers, que nous voulons, autant qu’il est en nous, l’associer à tous les momens de notre vie ? Ressusciter pour lui les jours qui ne sont plus, n’est-ce pas une manière nouvelle de lui montrer que nous sommes à lui sans réserve ? N’y a-t-il pas dans cet épanchement un mélange de hardiesse et de soumission qui donne à la tendresse la plus dévouée un accent de franchise plus pénétrant ? Après le bonheur d’aimer, le plus grand bonheur est, à coup sûr, de nous révéler tout entier au cœur que nous avons choisi, que nous avons su conquérir. À Dieu ne plaise que je conseille jamais d’immoler sur l’autel d’une passion naissante le souvenir des passions qui ne sont plus ! Un tel sacrifice, injurieux pour celui qui l’accomplit, ne saurait être accepté