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les menaces, la dixième partie seulement de cette superficie présente les apparences de la culture. Pourquoi cette stérilité ? Les ressources commerciales et industrielles sont nombreuses, mais on ne pourrait citer mais on ne pourrait citer encore aucun de ces grands courans d’affaires qui font refluer l’argent dans les caisses de l’état. Pourquoi cette inertie ? Les colonies agricoles rendront-elles jamais les 50 millions qu’elles vont coûter ? Qu’on se représente une famille pauvre, faisant de la petite culture à force de bras sur trois ou quatre hectares, et qu’on se demande sérieusement ce que le fisc en pourrait jamais tirer. L’accroissement artificiel de la population aura sans doute pour effet d’augmenter un peu le chiffre des recettes de la douane ; mais ce bénéfice entraîne un inconvénient qui n’a pas été assez remarqué. Les marchandises expédiées de France en Algérie ayant droit à la prime d’exportation, il se trouve que le trésor donne plus à leur sortie de France qu’il ne reçoit à leur entrée en Afrique. En 1846, l’administration des douanes a payé ainsi 4,207,086 francs, et n’a reçu que 3,880,000 francs. En 1847, après avoir payé aux expéditeurs 3,787,000 francs, on a touché seulement 2,943,000 francs. La prime de sortie, dira-t-on, n’est que la restitution d’un droit prélevé à l’entrée en France des matières premières ; néanmoins ces remboursemens n’auraient pas diminué la recette du trésor, si les consommateurs étaient restés en France, au lieu d’émigrer en Algérie. Nous n’aimons pas ces évolutions de chiffres, qui grossissent fictivement les recettes et trompent le pays par des apparences de prospérité.

Ne nous abusons pas : ce sera un jour plein de dangers pour l’Algérie, que celui où la France ouvrira les yeux sur cette situation. Ce jour arrivera infailliblement, prochainement peut-être, si on ne cherche pas des voies nouvelles. Nous ne voudrions pas que ce langage eût, dans notre bouche, l’accent d’un reproche à l’adresse de l’administration algérienne. Nous avons étudié d’assez près les affaires d’Afrique pour savoir qu’il eût été aussi difficile d’éviter les erreurs dans l’exécution qu’il nous est facile, à nous, de juger les actes accomplis. Nous allons exprimer une triste conviction. L’Algérie ne peut exister commercialement, elle ne peut dédommager la France qu’à la condition d’organiser de grandes et riches cultures, de multiplier les exploitations lucratives. Or, cette condition ne sera remplie que par l’intervention suprême de l’état, avec l’argent avancé par l’état. Ce qui s’est fait à Java doit nous servir d’exemple[1]. La Hollande fléchissait aussi sous son fardeau, lorsque le gouverneur Van den Bosch, après avoir

  1. On trouvera d’utiles indications à ce sujet dans la série d’études de M. de Jancigny sur les Indes hollandaises, et notamment dans le troisième mémoire. — Revue des deux Mondes, livraison du 15 février 1849, pages 404 et 405.