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pressent sur les bords du Nil. À Dandour est un petit temple purement romain, et dont cependant les sculpture ont un certain mérite. Il nous arrête quelques heures[1], puis nous remontons sur le Nil. Nous regardons long-temps Canopus ; c’est une étoile presque égale en éclat à Sirius, et qu’on ne voit point en France. Nous sommes sous un ciel étranger, nous saluons des astres nouveaux.

… Nova sidera norunt.


Girchè-Hassan.

Nous avons vu Girchè-Hassan à la lueur de notre machallah : on appelle ainsi une grille placée à l’extrémité d’un bâton, et dans laquelle on fait brûler un bois résineux. Cette espèce de fanal jette une vive lumière. Après l’avoir bien allumé, nous nous sommes acheminés vers le monument. C’est le premier exemple de ces temples-grottes creusés dans les montagnes et décorés de cariatides sculptées dans le roc, dont Ibsamboul offre un modèle magnifique. À la lueur du machallah, tout nous a semblé plein de majesté. Aujourd’hui, la clarté du soleil fait paraître les cariatides lourdes et écrasées. À Dandour, nous avons vu de bonnes sculptures d’une époque de décadence ; aujourd’hui, nous avons sous les yeux de mauvaises sculptures d’une bonne époque. Dans l’intérieur sont de nombreux enfoncemens, et, dans chacun de ces enfoncemens, trois ou quatre statues. Le roi figure toujours au milieu d’un groupe d’images divines. Ces statues mutilées, subitement illuminées par la flamme agitée et pétillante du machallah, avaient un aspect extraordinaire. La foule noire qui nous suivait nous représentait le peuple égyptien tel qu’il se pressait autrefois à l’entrée de cette grotte sacrée, et nous étions les prêtres qui le retenaient à distance sur le seuil du temple.

Nous sommes revenus escorté par la population. Elle était un peu plus nombreuse et un peu plus bruyante que nous n’aurions voulu. Sa manière de demander le bakchich ressemblait assez à une menace. Les gestes animés, les visages noirs et vivement éclairés par une flamme que le vent faisait tourbillonner, donnaient à notre entourage un aspect peu aimable. L’impatience commençait à nous gagner. Un de nos Arabes a ôté, au plus vif d’entre nous, un bâton qui, en se levant sur un de ces moricauds, aurait pu causer de fâcheuses représailles. Grace à cette précaution, nous sommes arrivés sans encombre à notre barque. Une fois rentrés dans notre forteresse, nous avons hissé le pont-levis, c’est-à-dire la planche qui établissait une communication entre la terre et nous, et nous avons parlementé. Les Nubiens ont crié et gesticulé

  1. Je remarque que les dieux ont ici les cheveux nattés à la manière des Nubiens de nos jours. On leur a donné le costume du pays.