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C’est à ce prix que la civilisation a fait sa place au milieu des barbares. Au commencement de l’année dernière, les colons civils d’origine européenne étaient au nombre de 115,803. Le vote récent de 50 millions pour la fondation des colonies agricoles va déterminer un accroissement rapide et considérable ; il est probable qu’un nouveau recensement porterait dès aujourd’hui à 130,000 le nombre des habitans européens. Jusqu’à présent, les étrangers ont formé la majorité dans la population chrétienne de l’Algérie. Ce fait est normal ; l’élément étranger entre toujours pour beaucoup dans le peuplement d’une colonie. L’inconvénient qui pouvait en résulter tend à s’amoindrir Sur 1,000 colons algériens, on compte présentement 482 Français, 278 Espagnols ou Portugais, 72 Maltais, 62 Italiens, 49 Allemands, 24 Suisses et 33 individus de nations diverses. En considérant les rapports de nombre entre les hommes, les femmes et les enfans, on est autorisé à conclure que la famille, base d’un peuplement réel, tend à se constituer dans l’Afrique française. Jusqu’en 1839 inclusivement, les hommes seuls furent plus nombreux que les femmes et les enfans réunis. En 1840, il y avait pour 44 hommes 27 femmes et 29 enfans. Aujourd’hui le nombre des enfans excède celui des hommes, et ne tardera pas à dépasser du double celui des femmes. Il n’est donc plus permis de dire, d’une manière absolue, que le climat de l’Afrique est funeste à l’enfance. Pour 100 individus d’origine européenne, il y a environ 36 hommes, 23 femmes et 41 enfans, c’est-à-dire que déjà ces derniers sont aussi nombreux relativement, dans une population improvisée, que dans les nations assises depuis des siècles.

De 1833 à la fin de 1847, on a constaté 20,547 naissances européennes et 27,678 décès. Ce résultat montre dans quelle mesure l’immigration a contribué au peuplement. L’excédant des décès sur les naissances ayant été de 7,013, il a fallu que les arrivées donnassent sur les départs un excédant de 122,816 individus. Un bénéfice aussi considérable exige un courant d’émigration vraiment prodigieux. Les mutations d’employés, le roulement des ouvriers suivant les alternatives de travaux ou de chômage, l’approvisionnement du pays, les illusions, la curiosité, entretiennent ce flux et ce reflux, qui laissent à chaque oscillation quelques habitans de plus sur les plages africaines. Le progrès de la société civile, cette force d’expansion qui la précipite dans tous les lieux où la guerre lui a fait place, présente un phénomène digne d’étude. Notre armée, en avançant, se dissémine ; elle s’attache au sol, elle fonde des camps qui deviennent les berceaux d’autant de villes. Partout elle attire à sa suite, par l’appât du gain, quelques humbles représentans de l’industrie où du commerce, noyaux de population auxquels viennent se rattacher peu à peu des élémens plus recommandables. À tous la force publique doit une égale sollicitude ; mais comment étendre