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de Leporello, sont mises en relief dans cet admirable morceau avec autant d’aisance que si chacun de ces personnages chantait isolément. C’est que la science de Mozart est la science des grands poètes : elle se caché sous l’inspiration qui la domine, et, comme la chaleur, ne se trahit que par sa bienfaisante influence. Qu’on lise une partition de Cherubini, par exemple, et l’on verra la différence qu’il y a entre un musicien d’un immense savoir, qui combine froidement ses effets, et un compositeur sublime comme l’auteur de Don Juan ou celui de Guillaume Tell, dont la main court, rapide, sous l’impulsion irrésistible d’un démon mystérieux. Disons toutefois que ce sextuor est parfois d’une harmonie trop fouillée, trop travaillée, et que les traits de vocalises qui échappent à la fureur de dona Anna nous paraissent une distraction du goût de Mozart.

Dans ce drame, où se trouvent exprimés tous les sentimens éternels du cœur humain, l’attention est constamment éveillée par une variété incessante, qui fait succéder une image riante au plus sombre tableau. Ainsi, après un morceau de Leporello : Ah ! pieta, signori miei, voici venir celui de don Ottavio : Il mio tesoro intanto, qui serait le plus bel air de ténor qui existe au monde sans celui du Mariage secret de Cimarosa : Pria cite spunti. Il fallait entendre Rubini déployer dans ce morceau si exquis de Mozart toutes les délicatesses de son style et toutes les magnificences de sa vocalisation.

Nous approchons de la catastrophe. Don Juan, s’en revenant à la chute du jour de ses courses vagabondes, traverse avec Leporello un cimetière où il aperçoit la statue du commandeur, dont il insulte la mémoire par d’horribles blasphèmes suivis d’éclats de rire. Di rider finirai pria dell’ aurora ; — au lever de l’aurore, tu auras cessé de rire, lui répond d’une voix lugubre l’ame trépassée du commandeur. Et Mozart a trouvé ici le moyen de rendre hommage au génie de Gluck, en empruntant à un passage de son opéra d’Alceste[1] l’harmonie presque littérale qui accompagne cette mélopée, d’un caractère si profondément religieux. — Dis à ce vieux fou que je l’engage à souper avec roi, réplique don Juan avec ironie. Le duo O statua gentillissima traduit d’une manière merveilleuse la terreur de Leporello et l’étonnement mêlé d’inquiétude qu’éprouve don Juan, cet étonnement que Molière a exprimé par ces mots significatifs : Allons, sortons d’ici !

Après un air de dona Anna : Non mi dir, chargé de fades vocalises qui prouvent que les plus beaux génies sont obligés de payer un tribut aux caprices du mauvais goût, voici enfin le finale du second acte, qui résume et termine cette divine comédie. Il se divise en cinq épisodes,

  1. Voyez dans la partition française de l’Alceste de Gluck l’harmonie qui accompagne ces paroles : Malheureuse ! où vas-tu ?