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de fausse sensibilité, que Leporello a bien de la peine à contenir son hilarité. Aux sons de cette voix aimée qui lui rappelle les plus doux souvenirs de sa vie, la pauvre dona Elvira ouvre son ame à l’espérance et pardonne à l’ingrat qui l’a tant fait souffrir. En écoutant ce trio délicieux composé de phrases courtes burinées d’une main si savante, rempli de modulations qui fuient comme les reflets d’une robe blanche dans une nuit d’été, il semble qu’on entende un concert de voix lointaines dont une brise parfumée nous apporterait les harmonies ineffables.

La sérénade Deh ! vieni alla finestra, que don Juan, sous le costume de Leporello, chante sous le balcon de dona Elvira pour mieux la tromper encore, est une mélodie charmante, d’une couleur toute méridionale et vraiment espagnole. L’accompagnement de mandoline, que les instrumens à corde soutiennent par des accords plaqués, achève le tableau et complète l’illusion. Nous passons sur l’air que chante encore don Juan : Metà divoi, et nous arrivons à celui de Zerlina : Vedrai carino, qui est un chef-d’œuvre de grace. Ce caractère de Zerlina est la plus heureuse création de Lorenzo da Ponte, qui semble avoir réuni sur cette gentille villanella, dont le nom est vénitien ainsi que celui de son fiancé Masetto, la finesse, la flexibilité, la coquetterie enfantine et caressante de la fille des lagunes, que les poètes populaires qualifient de bio’nda, tenera e grassa. Mozart aura voulu sans doute être agréable à son ami da Ponte, en mettant dans la bouche de sa chère Zerlina les notes les plus suaves et les plus enivrantes de son génie. On conçoit que Masetto ne puisse résister à ce chant divin ; de plus forts que lui y succomberaient. Après ce dernier air de Zerlina, arrive le fameux sextuor reconnu pour une des merveilles de l’art. Leporello, sous le costume de son maître, est entré dans la maison de dona Elvira, qui croit avoir reçu dans ses bras son époux repentant. Pendant que Leporello cherche, dans l’obscurité, une porte par où il puisse échapper au danger qui le menace, surviennent successivement d’abord dona Elvira, puis dona Anna et don Ottavio, Zerlina et Masetto. Tous, justement irrités contre don Juan, et encore sous l’impression de la scène du bal, ils se disposent à faire justice d’un si grand coupable, lorsque Leporello se découvre et se fait reconnaître en demandant pardon. Un cri de surprise générale, traduit par une modulation admirable, groupe les voix éparses, resserre l’harmonie, et donne le signal de la longue et savante péroraison de ce beau morceau. Aucun musicien n’a su comme Mozart exprimer les nuances des caractères et le contraste des passions dans un vaste tableau sans que la perfection désespérante des détails nuise jamais à l’effet grandiose de l’ensemble La tendresse de dona Elvira, la douleur profonde de dona Anna, la grace élégiaque de don Ottavio et de Zerlina, la fureur de Masetto et la poltronnerie