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éprouvent à la vue de l’homme fatal qui pèse sur leurs destinées, dona Elvira, dona Anna et don Ottavio se décident à poursuivre jusqu’au bout leur dangereuse entreprise ; mais, avant d’entrer dans le château qui cache tant de ténébreux mystères, ils s’arrêtent sur le seuil, et, l’ame émue d’une sainte terreur, ils adressent au ciel l’une des plus touchantes prières qui aient été écrites par la main des hommes. L’hymne qu’ils chantent est le fameux trio des masques ; c’est un de ces rares morceaux qui, par la clarté de la forme, par l’élégance et la profondeur des idées, émeuvent la foule et charment les doctes. Satisfaire à la fois l’intelligence des forts et le cœur de tous, n’est-ce pas le but suprême de l’art ?

Un changement de décor nous introduit dans la salle du festin magnifiquement, illuminée. Des deux côtés de la scène, on voit deux orchestres qui n’attendent qu’un ordre du maître pour donner le signal de la fête. Don Juan, plein de verve et de bonne humeur, se promène au milieu de ses nombreux convives qu’il excite à la joie. Le thème à six-huit et en mi bémol majeur, sur lequel don Juan brode ses propos galans, est plein de franchise et d’élégance. Les réponses de Zerlina, le dialogue de Leporello avec Masetto, dont la jalousie est constamment en éveil, les éclats de la foule, tout cela forme un ensemble où se dessinent harmonieusement les aparté des divers personnages. Cette brillante conversation est interrompue par l’arrivée des trois masques que nous avons laissés à la porte du château, et dont la présence est annoncée par un nouveau changement de mesure et de tonalité. Leporello, puis don Juan, vont au-devant d’eux avec courtoisie, et les engagent à prendre leur part du plaisir commun. « Ma maison est ouverte à tout le monde, ajoute le maître avec l’ostentation d’un grand seigneur, et tout ici invite à la liberté. » Sur un ordre de don Juan, le bal commence par le délicieux menuet, dont le rhythme onduleux à trois-huit, confié au grand orchestre, se prolonge indéfiniment comme une pensée fondamentale. Peu à peu, et successivement, les deux petits orchestres qui sont sur le théâtre entament, l’un une contredanse, et l’autre une valse, dont les rhythmes différens, venant se superposer sur le rhythme primitif du menuet, agacent l’oreille et piquent l’attention. Pendant que don Juan danse avec Zerlina en lui disant mille douceurs, que Leporello cherche à distraire Masetto, les trois personnages masqués observent dans un coin la conduite de don Juan, qui leur arrache de temps en temps des soupirs douloureux et des exclamations d’horreur.

Un cri perçant s’élève tout à coup du milieu de cette foule enivrée. Gente ajuto ! ajuto ! s’écrie Zerlina éperdue, que don Juan vient d’entraîner dans une chambre voisine. Les musiciens s’enfuient épouvantés, et les convives irrités enfoncent la porte d’où s’échappent les cris de la