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un bouchon qui cède à l’effort d’un gaz mal comprimé. On ne dirait jamais que cette musique est d’un Allemand ; c’est Mozart.

À cet éclat de gaieté folle qui rayonne comme le bouquet d’un feu d’artifice succède un morceau d’un genre tout opposé et d’une perfection plus rare encore : c’est celui que chante Zerlina pour apaiser la colère de son fiancé Masetto. Elle revient humblement auprès de lui les yeux baissés, traînant l’aile, et toute confuse d’avoir écouté avec trop de complaisance les propos séducteurs de don Juan. « Frappe, frappe la pauvre Zerlina, lui dit-elle ; arrache-moi les cheveux, arrache-moi les yeux, je supporterai tout avec résignation, et je baiserai les mains chéries qui daigneront me punir. Mais, je le vois, ton cœur s’attendrit… Touche là, ô mon bien-aimé ! et passons ensemble d’heureux jours. » Cet air de : Batti, batti, o bel Masetto ! se compose de deux parties exprimant les deux nuances du sentiment qui préoccupe la jeune fille. Dans la première, écrite à deux temps, dans un rhythme plein de langueur, elle conjure son amant de lui pardonner un instant de faiblesse, et dans la seconde, d’un mouvement plus vif et plus souple, elle s’abandonne à la joie de la réconciliation, en promettant à son futur époux un avenir de bonheur. Mozart a mis dans cet air adorable toute la tendresse de son ame, toute la suavité de son génie, toute l’élégance de son style inimitable. Chaque mesure semble réfléchir une nuance secrète du cœur. Voyez quelle grace naïve s’exhale de ce passage de la première partie :

E le care tue manine
Lieta poi soprò bacciar !


Peut-on implorer le pardon d’un amant irrité avec plus de tendresse : soumise et de chaste coquetterie que n’en met Zerlina dans la phrase suivante du second mouvement ?

Pace, pace, o vita mia !


Cela est ciselé, fouillé comme un bijou sorti des mains de Benvenuto Cellini. Il y a dans l’accompagnement des détails, des ricami, des broderies d’une délicatesse extrême. Jamais on n’a exprimé avec plus de finesse les mille séductions innocentes de la femme, ces agaceries enfantines auxquelles un amant ne sait pas résister ; et cet accompagnement de violoncelle, qui suit la mélodie comme une ombre depuis la première mesure jusqu’à la dernière, ne dirait-on pas le murmure de la conscience témoignant de la sincérité du repentir de la jeune fille ? Que cela est profond et charmant[1] ! Après cet air, qui exprime le refoulement

  1. Dans un quintetto de Beethoven pour piano, hautbois, clarinette, cor et basson, on retrouve le thème de cet air délicieux.