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Ainsi, à la dix-septième mesure de la première partie, lorsque Leporello s’attache à spécifier le nombre de victimes que don Juan a faites dans chaque contrée, les hautbois et les cors font entendre un joyeux ramage de tierces qui égaie l’oreille, de même qu’un bouquet de fleurs printanières charme le regard. Pendant ce temps, les violons et les basses se défient et se répondent par des gammes diatoniques que les premiers descendent et que les secondes remontent avec une étincelante rapidité. Ce dernier trait d’accompagnement se trouve aussi dans l’air de Non piu andrai du Mariage de Figaro. Tout à coup le mouvement, la tonalité et la mesure changent. Leporello, voulant décrire les qualités physiques et morales qui attirent son maître auprès de chaque femme, se met à chanter un cantabile à trois temps où brille cette finesse tempérée de grace qui forme l’une des qualités intimes du génie de Mozart. Rien ne répugne, dit Leporello, au vaste appétit de don Juan, mon maître. Tout intéresse et captive son ardeur généreuse, les graces de la blonde, la constance de la brune aussi bien que la douceur de la blanche. Qu’elle soit marquise ou camériste, petite ou grande, grasse ou maigre, peu lui importe, pourvu qu’elle appartienne au sexe qu’il adore et qu’il puisse l’inscrire sur sa liste de conquérant. Cependant son goût fin et délicat, fruit de son expérience et de ses longs voyages, trouve un bonheur tout particulier à posséder un jeune cœur qui s’ouvre pour la première fois aux flammes de l’amour. — Ici l’orchestre pousse un soupir chaste et douloureux, qui semble exprimer le regret de l’innocence perdue, et le bourdonnement des bassons qui s’en détache un instant après annonce que tout est fini et que l’idéal est immolé aux réalités de la vie.

L’air de Madamina est un morceau parfait dans son genre. C’est un mélange exquis de grace et de finesse, d’ironie et de sentiment, de déclamation comique et de mélodie, le tout relevé par la poésie et la science des accompagnemens. Rien de trop, rien d’excessif, tous les élémens concourent à l’harmonie de l’ensemble : chaque mot est illuminé par l’imagination du compositeur, sans que ces clartés de détail nuisent à l’effet général. La gaieté de Mozart est une gaieté bénigne, qui s’attaque aux vices et aux ridicules de la grandeur sans fronder l’autorité, qui se moque des résultats sans pénétrer jusqu’au principe ; c’est une gaieté sereine qui s’attendrit parfois, qui n’a rien de l’âcreté de la gaieté moderne.

Leporello et don Juan ayant quitté successivement la scène, l’on voit arriver une troupe de joyeux paysans. C’est une noce de village, c’est la jeune et jolie Zerlina avec son fiancé Masetto et leurs amis qui chantent et dansent en l’honneur de leur prochain mariage. Le chœur et le petit duo qui s’en détache sont d’une mélodie vive et gracieuse : c’est une idylle charmante, respirant la fraîcheur du printemps et les douces