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était mort depuis quelques années, Haendel dont le génie grandiose et biblique n’a pas été sans influence sur l’éducation de l’auteur de Don Juan. Cependant les œuvres de Haendel vivaient dans la mémoire de toute la nation. Mozart fut accueilli à Londres comme il l’avait été partout. Il se fit entendre dans un grand nombre de concerts publics, fut présenté à la cour, où il exécuta à première vue des morceaux extrêmement difficiles de Haendel, de Bach et de Paradisi. Invité par le roi à improviser un chant sur une simple basse qu’on lui présenta, il trouva aussitôt une mélodie exquise qu’il accompagna avec le savoir d’un maître. À ce signe éclatant de la toute-puissance de la nature et de la bonté divine, Léopold Mozart s’écrie dans une lettre : Ce que Wolfgang savait en partant de Salzbourg n’est que l’ombre de ce qu’il sait aujourd’hui. Ce qu’il fait maintenant surpasse l’imagination ! Après un séjour de quinze mois, Léopold Mozart et sa famille quittèrent Londres, suivis d’une grande renommée dont les journaux du temps nous ont conservé le témoignage. Ils débarquèrent à Calais vers la fin de juillet 1765. Traversant le nord de la France et la Belgique, ils se rendirent à La Haye, où les deux enfans tombèrent assez gravement malades. Rien n’est touchant comme la piété profonde avec laquelle Léopold Mozart recommande à un ami de faire dire un grand nombre de messes à presque tous les saints du paradis pour que Dieu rende la santé à ses chères créatures. Ses vœux furent exaucés. Après une courte excursion à Amsterdam, les Mozart reprirent le chemin de l’Allemagne en passant par Paris, Lyon, Strasbourg et la Suisse. Ils arrivèrent à Salzbourg sur la fin de l’année 1766, ayant fait une absence de trois ans. Ce long voyage dans la partie la plus florissante de l’Europe avait eu une grande influence sur le développement intellectuel de Mozart. Excitée par les applaudissemens de la foule, par les caresses des grands, et surtout par l’approbation des vrais connaisseurs, son imagination impatiente franchit tout à coup l’intervalle énorme qui sépare le virtuose du créateur. Wolfgang fit graver à Paris deux morceaux pour le clavecin, avec accompagnement de violon, qui forment le premier anneau de son œuvre immense. À Londres, il compose une symphonie à grand orchestre et trois autres morceaux pour le clavecin ; à La Haye, six nouvelles sonates qu’il dédie à la princesse de Nassau-Weilbourg. De retour à Salzbourg, où l’avait précédé le bruit de ses succès, il passa presque toute l’année 1767 à se recueillir, à étudier de près les maîtres : de toutes les écoles, Emmanuel Bach, Haendel, Haase, Eberlein, aussi bien que les Scarlatti, les Leo, les Durante, les Porpora, se préparant ainsi à devenir le conciliateur suprême entre le génie religieux des peuples du Nord et la passion fougueuse des races méridionales, entre l’harmonie profonde et compliquée des Allemands et la mélodie large et limpide des Italiens. Don Juan sera le gage immortel de cette alliance.