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grandes dispositions pour la musique. Elle fit admirer dans toute l’Europe un talent précoce et très remarquable sur le piano ; mais elle fut bientôt éclipsée par la renommée de Wolfgang. Devenue baronne de Sonnembourg, la sœur de Mozart est morte à Salzbourg en 1830, âgée de quatre-vingts ans. Courbée sous le poids de l’âge, aveugle et pouvant à peine se remuer, la baronne de Sonnembourg avait conservé une admiration profonde pour celui qui avait été son frère selon la chair, disait-elle avec un respect qui touchait à la piété.

On connaît maintenant la famille au sein de laquelle est né Mozart, famille pieuse et résignée, famille tout allemande et vraiment chrétienne, où régnaient l’ordre, la chasteté et le goût des belles choses, digne berceau du musicien de l’amour idéal. À peine Wolfgang eut-il révélé son instinct merveilleux pour la musique, qu’il devint l’objet exclusif de l’attention du père et de l’intérêt de tous. Il avait à peine trois ans que déjà il posait ses petites mains sur le clavier et s’essayait à rendre une succession de tierces, seul intervalle que pussent saisir encore ses doigts courts et potelés. Venait-il à rencontrer une combinaison nouvelle, ses yeux s’animaient de joie. À quatre ans, il savait par cœur les passages les plus saillans des concertos exécutés par sa sœur, et son père composait pour lui de petits morceaux qui ont été conservés. C’est ainsi que Mozart apprit la musique comme en se jouant, ou plutôt la musique se réveillait dans son ame avec le sentiment de la vie. N’est-ce pas un signe distinctif qui caractérise les êtres supérieurs que la facilité avec laquelle on les voit s’assimiler les élémens matériels du langage ? On ne saurait trop le répéter dans un temps comme le notre, les vrais poètes, les peintres, les musiciens, tous ceux qui sont destinés à répandre sur la terre quelques rayons de la beauté éternelle, ne se forgent pas dans les ateliers de la science humaine. On n’apprend pas dans les écoles à parler la langue de l’amour. En écoutant les conseils du maître qui, le premier, délie ses lèvres, l’enfant de génie semble se ressouvenir d’une langue oubliée qu’il aurait parlée jadis dans un monde meilleur. Il chante, comme l’oiseau, au lever de l’aurore, et puis il s’envole aux régions sereines emportant avec lui le secret de ses divins concerts. Homère fait dire au chantre Phemius implorant la pitié d’Ulysse : « Ne me tue pas ! tu te repentirai peut-être d’avoir donné la mort à celui qui chante les dieux et les hommes. Personne n’a été mon maître… Un dieu a placé dans mon cœur les chants divers que je dis[1]. »

Le caractère du jeune Wolfgang présentait les plus grands contrastes. Il était tour à tour bruyant et joueur, calme et laborieux. Doué d’une

  1. Odyssée, chant XXII, vers 33 et suivans. Platon a dit à peu près la même chose en d’autres termes : « Quiconque frappe à la porte des Muses, s’imaginant à force d’art se faire poète, reste toujours loin du terme où il aspire. » Phédon, trad. de V. Cousin.