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prince Louis avait une autre recommandation auprès de la société anglaise : une générosité toute napoléonienne qui l’a ruiné. Il a payé deux ou trois fois, et sans compter, les dettes de son parti. Son parti s’est étrangement accru depuis lors, et je ne crois pas qu’aucune opinion quels que soient sa date et son drapeau, ait à s’en plaindre. Le suffrage universel, qui est allé chercher dans l’exil le plus isolé des princes proscrits, peut nous ménager, et sans sortir de la légalité, bien d’autres surprises. Le prince Louis est, du reste, le seul homme que son élévation subite n’ait pas étonné. Il n’a pas douté un seul instant de ce retour de fortune, et sa foi presque superstitieuse dans l’avenir pallie ce qu’il y a d’excentrique au premier abord dans les deux tentatives de Strasbourg et de Boulogne. Ce fatalisme confiant le rendait assez peu docile à tout conseil qui ne répondait pas entièrement à sa pensée. Il n’a jamais accepté un plan qu’après l’avoir modifié pour le faire sien, et c’est à ces goûts d’initiative personnelle que ses amis croient devoir attribuer en partie ses deux échecs d’autrefois. Huit ans de captivité ont amorti la fougue un peu juvénile du prince Louis ; mais son humeur indépendante et primesautière a survécu. « J’appelle à moi tous les avis, disait-il dernièrement ; mais je fais ce que je dois et même ce que je veux. » L’oncle ne désavouerait pas le neveu pour ce mot-là.

Si les extrêmes se touchent quelque part c’est à coup sûr dans mon sujet. D’un nom dont on a fait l’expression d’une pensée d’ordre, passons à d’autres noms devenus synonymes d’anarchie.

L’émigration socialiste de juin n’a jeté en Angleterre que deux de ses notabilités MM. Caussidière et Louis Blanc. M. Caussidière a vécu à Londres on ne peut plus ignoré jusqu’au moment où il a redonné signe de vie par la publication de ses mémoires. Je doute même que cet appel à l’attention publique qui l’oubliait l’ait beaucoup servi. La pittoresque vulgarité de l’ex-préfet de police n’a rien gagné à se parer des manchettes du style, et quel style ! Les orties et les ronces de cette éloquence de club en faisaient tout le piquant ; la main perfidement amie qui les a élaguées n’a réussi qu’à mettre à nu la fade pauvreté de ce lent verbiage. Pourquoi M. Caussidière n’est-il pas resté dans la pénombre où l’avait placé l’engouement semi-craintif, semi-railleur, des électeurs d’avril et de juin ? Nous l’aimions presque ainsi : il y avait dans le sentiment de l’opinion à son égard quelque chose de cette curiosité irritable qui nous fait jouer avec un loup apprivoisé. Et voyez la maladresse ! non content de se transformer à nos yeux, M. Caussidière ne veut pas même nous laisser l’illusion de son passé. Nous étions disposés à croire, par exemple, que le 25 février M. Caussidière, avec sa taille de cinq pieds huit pouces, son grand sabre, sa brune crinière poudreuse et hérissée et ses façons d’Hercule en colère, était quelque peu