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de la langue française ne menace en rien l’indépendance de la Belgique, convenait-il de réveiller des haines séculaires ? Il y a dans le Lion de Flandre un parti français qui est chargé d’imprécations et noyé dans son sang ; les Belges du pays wallon, qui tiennent à notre langue et cependant veulent rester Belges, n’ont-ils pas dû voir une provocation ouverte, dans les peintures que je viens d’analyser ? En peignant comme des héros les moines de Courtray, l’auteur n’a-t-il pas obéi à l’influence de la démagogie cléricale qui trouble et trompe ce pays depuis 1830 ? N’y avait-il pas enfin mille autres manières plus efficaces et plus douces de prêcher la fidélité au caractère national ? J’adresse ces questions à M. Conscience, et je le prie de juger son œuvre avec impartialité. Aussi bien, si mes renseignemens sont exacts, l’auteur du Lion de Flandre a dû s’apercevoir déjà du mauvais effet de sa prédication. C’est à la suite de ce livre que s’est engagée la polémique la plus vive entre les Flamands et les Wallons. Singulière façon de préparer l’unité de la patrie que d’envenimer les différences de race et de semer de vieilles haines sur un sol nouveau ! Encore une fois, telle est ma sympathie pour M. Conscience, que je ne veux pas lui donner d’autre juge ou d’autre conseiller que lui-même. Les romans qu’il a écrits depuis le Lion de Flandre sont les modèles que je lui proposerai. S’ils ont moins de valeur sans doute au point de vue de l’art et de l’imagination, j’y trouve du moins ce sentiment de la tradition, cette originalité domestique, en un mot, cet amour vrai du pays, beaucoup trop défiguré dans le Lion de Flandre par des prétentions insoutenables.

Le premier de ces romans est l’Histoire du comte Hugo de Craenhoven. Nous sommes encore au moyen-âge, mais nous n’avons plus affaire aux passions, aux haines sanglantes que le romancier reproduisait trop énergiquement tout à l’heure. Ce roman est une légende, une calme et naïve chronique de famille, où l’on voit revivre au fond d’un vieux château les bizarreries du moyen-âge et les mœurs de l’ancienne Flandre. Rien de plus original que cette peinture. Ce n’est point par la hardiesse du dessin et l’éclat des couleurs que se recommande Hugo de Craenhoven ; c’est par la poésie des détails, par le sentiment délicat des choses intimes, par une grace mélancolique à laquelle on ne résiste pas. Les deux frères, Arnold et Hugo de Craenhoven, habitent le même château ; jamais on n’a vu deux amis comme Arnold et Hugo, jamais deux cœurs n’ont été plus tendrement unis. Une brillante châtelaine vient s’établir, aux environs, et voilà la guerre allumée. Un soir que le comte Arnold est sorti à cheval, son frère Hugo le suit, et, sous les tours crénelées de la dame, les deux champions, mettant l’épée à la main, fondent l’un sur l’autre avec rage. Tous deux sont blessés gravement et restent étendus sur la route. Le comte Arnold est rapporté au château ; quant à Hugo, lorsqu’on vient le chercher, la place