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Dans la querelle d’Édouard Ier et de Philippe-le-Bel, Guy de Dampierre prit parti pour les Anglais, et forma avec Adolphe de Nassau, avec les ducs de Lorraine et de Bourgogne, une ligue terrible contre son suzerain. Philippe-le-Bel envahit la Flandre, accompagné de Charles de Valois, son frère, et de Robert d’Artois, son cousin. Les Flamands furent vaincus, et les troupes françaises occupèrent tout le pays. C’est à cette date, vers 1298, que s’ouvre le récit du conteur. M. Conscience s’est proposé de peindre la colère nationale qui d’abord gronde sourdement, éclate çà et là pendant quelques armées, et triomphe enfin dans une sauvage et irrésistible explosion à la sanglante bataille de Courtray. S’il est rare assurément que ces sourdes conspirations de tout un peuple ne fournissent pas au poète de dramatiques effets, il est difficile aussi de se soustraire, en des sujets pareils, aux lieux communs du patriotisme. M. Conscience a évité l’écueil ; sa conspiration ne ressemble à aucun drame du même genre. Le caractère particulier de la race flamande et les faits de l’histoire interprétés avec art communiquent à ce grand tableau une énergie singulière. Grace à cette sérieuse étude, l’originalité est vraie et rencontrée sans effort. Les brillans chevaliers de Philippe-le-Bel, Châtillon et Raoul de Nesle, Robert d’Artois et d’Aumale, les comtes de Soissons, de Dreux, de Tancarville, s’étaient jetés sur cette riche proie des Flandres avec une voracité farouche ; ils ne connaissaient pas cette populeuse et laborieuse race, cette forte avant-garde de l’industrie moderne. M. Michelet l’a très bien dit : « Le Français, habitué à vexer nos petites communes, ne savait pas quel risque il y avait à mettre en mouvement ces prodigieuses fourmilières, ces formidables guêpiers de Flandre. Le lion couronné de Flandre, qui dort aux genoux de la Vierge, dormait mal et s’éveillait souvent. La cloche de Roland sonnait plus fréquemment pour l’émeute que pour le feu. Roland ! Roland ! tintement, c’est incendie ! volée, c’est soulèvement ! C’était l’inscription de la cloche :

Roelandt, Roelandt, als ick kleppe, dan is Brandt,
Als ick luye, dan ist storm in Vlaenderlandt. »

M. Conscience a fait preuve d’une habileté remarquable en remuant ces masses furieuses. La cloche de Roland bat à pleine volée. Brasseurs, bouchers, tisserands, forgerons, tout ce peuple d’ouvriers et de bourgeois se rue sur les soldats de Philippe-le-Bel avec l’impétuosité de la rage. Il y a deux chefs surtout qui les conduisent ; maître Jean Breydel et maître Pierre de Conynck, celui-ci audacieux jusqu’à la folie et irrésistible dans sa colère, celui-là prudent dissimulé, et dressé à toutes les ruses de la stratégie. Robert de Béthune, retenu prisonnier en France,