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Voilà pourtant le langage ciselé et musqué que ces artistes en démocratie parlent au peuple entre une portion de veau froid et un verre de vin bleu, voilà les chefs d’œuvre démocratiques et oratoires que leurs journaux colportent. Quelle merveilleuse collection l’on ferait avec ces feuilles-là ! Lisez un pamphlet dédié à Robert Blum en forme de feuilleton par un de ses admirateurs qui signe Job le socialiste ; il y a là un Sulpicius qui dit à la Bourse en montrant le poing au monument du capital : « Caverne de voleurs, malheur à toi ! Ah ! si quelque jour la mitraille révolutionnaire enfonçait ces portes d’ignominie, le son du canon résonnerait à mes oreilles comme une douce musique ! Ah ! si la torche populaire mettait le feu aux quatre coins de l’édifice, jamais plus joyeux incendie n’aurait éclairé le ciel ! Allez, infâmes ! allez, abjects ! allez, maudits ! allez vous emplir, outres à vin, sacs à écus, allez manger, et manger encore, jusqu’à ce que la main du peuple, vous saisissant au ventre, vous fasse rendre gorge ! » Après mons Sulpicius, il faut tirer l’échelle. Il y a pourtant des règlemens de police qui défendent de vendre au pauvre peuple de la viande gâtée.

La situation des affaires extérieures est encore un thème favori de nos orateurs révolutionnaires. Dans leurs journaux, dans leurs banquets, au sein même de l’assemblée, ils se récrient contre l’abaissement imposé à la France par ceux qui ne se pressent point de saluer comme des frères et amis les plagiaires étrangers de notre sublime montagne. L’obligation serait vraiment singulière, et les hardis républicains de la veille, réduits à nous rendre leurs pouvoirs, nous auraient fait en revanche un legs passablement onéreux. Dépossédés à l’intérieur par l’énergique répulsion du pays, ils forceraient le pays à les continuer au dehors, et cette politique, qui a succombé chez nous sous le concert d’une réprobation unanime, ils nous emploieraient, nous qui n’en avons pas voulu, à la propager ou à la soutenir chez nos voisins !

M. Ledru-Rollin sait sans doute la politique un peu mieux que la géographie, mais encore quelle est la politique qu’il sait ? il ne tient pas compte des distances : soit, car il n’y met peut-être pas de malice ; mais tient-il plus de compte des réalités, du fond même des choses, de l’histoire, de l’humeur, de l’intérêt positif des nations ? Hélas ! il n’a pas besoin d’en tant connaître ; il est au-dessus de ces détails vulgaires, et son éloquence n’a que de grands principes qui dominent tout sans s’appliquer à rien. C’étaient ces grands principes qui lui brouillaient naguère les idées, à propos de l’Irlande et d’O’Connell, au point qu’il avait pris le vieux gentilhomme, un vrai parangon de dévotion et de royalisme, pour un précurseur de la république démocratique et sociale. Il en fut quitte alors pour une rebuffade gouailleuse, et ce n’était pas de quoi guérir un homme fort du mal de la phrase et du péché de l’ignorance il fallait l’entendre l’autre jour, dans la salle Martel, attester solennellement l’union des Slaves et des Magyars contre la Russie ! « Prêtez l’oreille, écoutez, écoutez le bruit qui se fait ; Posez la main sur la terre ; sentez-vous ce tressaillement ? C’est la Hongrie, c’est Panslavisme qui se mettent en marche ! »

Ces belles métaphores ne laissent pas assurément de flatter les citoyens auditeurs d’un banquet à 1 franc 25 centimes, et la vérité toute nue ne les enchanterait pas autant que de si harmonieuses fictions ; mais nous autres, qui avons l’imagination moins vive, nous résistons au charme du langage, et nous cherchons le sens de la conduite. Quelle est donc la conduite qui plairait à M. Ledru-