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féconde des tableaux avec le modèle. On comprend sans peine combien l’ingénieux écrivain a dû vivifier son sujet, en lui donnant pour auxiliaire cette psychologique, dont les ressources sont inépuisables, infinies, comme l’ame humaine dont les mystérieux replis ont toujours quelque chose à révéler à l’observation attentive. Par ses inductions pénétrantes, par ses esquisses du sentiment filial et fraternel dont il poursuit l’expression dans les chefs-d’œuvre du théâtre ancien et moderne, M. Saint-Marc Girardin touche à toutes les questions de philosophie et de morale ; il y touche d’une main si sûre, avec tant de droiture et de sagesse, que, loin de multiplier pour ses auditeurs les occasions de s’égarer sur cette route agrandie et au milieu de ces nouvelles perspectives, il leur ménage sans cesse, comme des fils conducteurs, ces vérités pratiques et saines hors desquelles tout est folie dans le monde intellectuel, tout est désordre dans le monde moral, tout est désastre dans le monde politique. Parlerons-nous du style de cet ouvrage ? Le style de M. Saint-Marc Girardin est de la bonne école ; il a cette netteté qui sculpte la pensée sous l’expression au lieu de l’y étouffer, cette allure vive et piquante qui donne à l’idée la pénétration et la rapidité du trait. Il tient du XVIIe siècle par la raison, du XVIIIe par la clarté, et du notre par cette faculté toute moderne de mettre dans la critique autre chose que la critique même.

De pareils livres, publiés en des temps comme celui-ci, nous causent à la fois un sentiment de joie et un sentiment de tristesse : ils nous attristent, parce qu’on se dit, malgré soi, que c’est dommage, et que cet atticisme, cette élégance et ce goût méritaient mieux que l’attention distraite d’un pays trop inquiet du nécessaire pour s’occuper du superflu. Le superflu, avons-nous dit ! nous nous trompons, et c’est là ce qui nous réjouit ou nous rassure. Non, ces œuvres où des esprits d’élite trouvent moyen de consigner tant d’idées justes, réparatrices, salutaires, ne seront jamais pour nous une superfluité brillante, un accessoire inutile ; elles sont inhérentes au pays ; elles font partie de son génie ou plutôt de son existence. « Je pense, donc je suis, » a dit Descartes, et ce mot a été la formule de sa philosophie tout entière. Ce que Descartes a dit de lui-même, il est permis de le dire aussi de la France au moment où les révolutions et les sophismes peuvent faire douter de son salut. Elle pense, donc elle est. Sans doute il est regrettable que l’art n’y concoure pas pour sa part, que le théâtre soit muet, qu’il laisse aux esprits critiques le soin de perpétuer et de maintenir ce signe de vie intellectuelle ; et cependant on peut répéter avec complaisance, en lisant des ouvrages comme ceux dont nous parlons : Tant que la France pensera, tant que la vérité s’y traduira, sous la plume d’hommes éminens, en livres ingénieux et solides, instructifs et élégans, il sera clair qu’elle existe, qu’il y a encore en elle assez de vie, d’activité, d’intelligence, pour résister aux secousses et conjurer les tempêtes.


ARMAND DE PONTMARTIN.