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pensée de se concentrer sur un seul objet. Placez un coloriste à côté d’un dessinateur, ils se nuiront réciproquement. Le spectateur, qui s’est laissé séduire au charme de la couleur dans l’œuvre du premier sera choqué des teintes ternes qui s’offrent à lui sans transition dans le tableau voisin ; en revanche, lorsqu’il est parvenu à sentir tout le mérite de contours corrects et purs, il observera avec dépit une faute de dessin, qu’il n’eût pas observée dans un Rubens, si un Raphaël malencontreusement rapproché ne l’avait, en quelque sorte, forcé à une comparaison. Concluons de ce qui précède que, pour que les tableaux soient convenablement exposés, il est nécessaire de laisser entre eux un intervalle, variant selon leur grandeur, mais toujours assez grand pour que l’œil du spectateur n’embrasse qu’un seul tableau à la fois.

Il y a quelques années que, dans une école d’architecture que je ne nommerai pas, on enseignait qu’un musée est un monument orné d’objets d’art. Ni M. Duban ni M. Jeanron, nous en sommes certain, n’admettent cette définition barbare. Ils savent que, dans un musée, le mérite de l’architecte consiste à se cacher pour ainsi dire et à n’attirer l’attention que sur les hôtes immortels dont il construit la demeure. Le défaut qu’on doit éviter par-dessus tout, c’est ce qu’en terme d’atelier on appelle le papillotage, c’est-à-dire cette confusion de détails qui attirent les regards sans les fixer, détruisent l’harmonie d’ensemble et fatiguent l’attention en la portant là où elle est inutile.

Ainsi, les divisions ou les compartimens d’un musée devront être réglés surtout en vue de faire valoir les peintures ; mais, boiseries, tentures ou marbres, l’espace entre les tableaux, espace assez considérable, quelle teinte générale lui donnera-t-on ? Existe-t-il une couleur qui, propre à rehausser un certain tableau, ne nuise pas à un autre ? Et, sur ce point difficile, les peintres, juges suprêmes en cette matière, pourront-ils jamais se trouver d’accord ?

J’ignore si nos artistes modernes, que je respecte infiniment, seraient unanimes sur cette question ; pour moi, je crois plus sage de consulter les anciens peintres, dont l’autorité est encore plus grande. Or, depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours, nous voyons régner sans opposition l’usage d’entourer les tableaux de dorures. Tous les maîtres, toutes les écoles se rencontrent pour placer leurs ouvrages dans des cadres dorés. Je ne vois d’exception que chez quelques peintres flamands, qui, pour des compositions de dimension médiocre, ont préféré des bordures d’ébène, et cette exception s’explique facilement par le motif même qui a fait préférer l’or par tous les autres artistes. En effet, si l’on renferme un tableau dans un cadre, c’est pour l’isoler de ce qui l’entoure, c’est pour le placer, autant que possible, dans la condition des objets qu’on aperçoit d’une fenêtre dont les chambranles marqueraient exactement le rayon que l’œil doit embrasser : cet isolement artificiel s’obtient d’autant plus nettement que le cadre tranche