Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/821

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il me semble que de tous les arts du dessin, l’architecture est celui où le raisonnement a le plus de part, de telle sorte qu’il est assez difficile de déterminer le point précis où le raisonnement y doit céder la place au goût. On peut même se demander si les conseils ou les inspirations du goût ne sont pas, en réalité, des jugemens rapides et raisonnés ; l’ame d’un artiste les comprend, mais aucune langue n’a de termes assez subtils pour les formuler. Quoi qu’il en soit, il ne sera douteux pour personne que les dispositions générales d’un projet, peut-être même que ses principaux détails d’exécution, ne soient, en quelque sorte, commandés par sa nature même. Satisfaire à toutes les conditions d’un programme, c’est, à vrai dire, déduire logiquement des conclusions de prémisses posées à l’artiste par ce même programme.

Le projet de donner une décoration au grand salon du Louvre a des conditions assez précises, à mon avis, pour qu’on en puisse discuter et déterminer d’avance les principales dispositions. En effet, il s’agit d’exposer des objets d’art sous le jour le plus favorable, de les isoler les uns des autres et de les disposer sur un fond qui fasse ressortir aussi bien les ouvrages des coloristes que ceux des dessinateurs. Telles sont, en somme, les données du programme dans la question qui nous occupe.

Il importe encore de ne pas perdre de vue que le grand salon ne doit contenir qu’un nombre fort limité d’objets d’art. En offrant au public la réunion, dans un même local, des chefs-d’œuvre des grands maîtres, on a sans doute en vue de présenter les élémens d’une comparaison éminemment propre à former le goût. Les ouvrages ainsi exposés seront désignés sans acception de style ni d’école ; le consentement unanime, la notoriété publique, dicteront ce choix, qui n’est pas difficile à faire du moment qu’on le restreindra. Si vous voulez former une bibliothèque de dix mille volumes, votre embarras peut être grand pour les désigner. Réduisez à cent le nombre des ouvrages, dans un quart d’heure vous aurez nommé les livres indispensables. Ajoutons qu’en plaçant dans le grand salon une élite de tableaux, on doit bien se garder d’ôter à la grande galerie toutes ses œuvres capitales ; ce serait la priver de son intérêt particulier. Que le grand salon présente à l’admiration générale les plus sublimes efforts des Raphaël, des Titien, des Rubens, mais que la grande galerie conserve sa destination spéciale ; artistes et amateurs y viendront étudier à loisir chaque maître dans la suite de ses ouvrages, dans les progrès ou les phases de son génie.

Remarquons d’ailleurs que moins il aura de tableaux dans le grand salon, et plus ils y paraîtront avec avantage. Il n’y a personne qui n’ait remarqué combien un ouvrage d’art exposé seul dans un atelier ou dans une chambre produit une impression plus favorable que lorsqu’on entoure d’autres ouvrages, lui fussent-ils incontestablement inférieurs. En effet, pour comprendre un tableau, pour ressentir tout le plaisir il peut donner, il faut un certain recueillement qui permette à la