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Les administrateurs des bureaux arabes ont, pour transmettre les ordres de l’autorité supérieure et en assurer l’exécution, leurs chaouch, leurs khiéla, leurs askar : au besoin, ils seraient appuyés par la garnison française de la localité. Avec une escorte de quelques hommes, un officier va au milieu des tribus lointaines diriger des travaux d’exploitation, prélever l’impôt ou mettre la main sur le criminel qui fuit notre justice. L’intérêt des populations fait la sécurité de nos agens. Au moyen des bureaux arabes, les tribus ont un recours contre le brigandage ; les chefs reconnus par nous sont affermis dans leur pouvoir tant qu’ils n’en abusent pas.

Calme et ferme, vigilante et tutélaire, la politique suivie, à l’égard des populations algériennes a porté ses fruits. Les indigènes sont déjà plus à nous qu’ils ne se l’avouent à eux-mêmes. Ce n’est pas à dire qu’il n’y aura plus d’appel aux armes : ce serait se faire une illusion et méconnaître le caractère arabe. Au milieu de ces peuples mobiles et inflammables, la poudre parle, comme ils disent, avant que les hommes s’expliquent. Il ne faut qu’un aventurier hardi, qu’un prédicateur fanatique, pour soulever une contrée ; mais, des fortes positions que la France occupe en Algérie, il deviendra facile de circonscrire l’incendie et de l’éteindre. Il en sera de ces crises passagères comme des orages auxquels on ne pense plus quand on a réparé les dégâts qu’a faits la foudre. La guerre ne sera plus qu’un accident.

On ne remarque pas assez combien l’islamisme amolli se laisse pénétrer par notre civilisation. Plus heureux que sous les Turcs, pourvu que leur soumission soit sincère, les indigènes se façonnent peu à peu à nos habitudes. L’achat des objets de ménage, de ces meubles et outils dont nous n’apprécions plus la valeur, tant l’usage en est commun, mais dont chacun a été une conquête pour l’homme civilisé, transforme l’Arabe, en le familiarisant avec la vie européenne. Dans les environs de nos villages, la boutique du quincaillier, du mercier, du forgeron, de l’épicier, du marchand d’étoffes, est aussi souvent remplie d’Africains que d’Européens. Les indigènes contractent ainsi des habitudes d’aisance qui les forceront à se faire des habitudes de travail : au lieu d’être, comme aujourd’hui, pauvres et sans besoins, ils deviendront, ce que sont les Européens, plus nécessiteux, avec plus de ressources pour se satisfaire.

Veut-on mesurer le chemin qu’ils ont déjà fait vers nous ? qu’on se représente cet orgueil farouche, ce mépris haineux pour l’étranger et pour l’infidèle, qui sont passés dans les instincts du peuple arabe. Le principal idiome de l’Algérie ne fournit qu’un seul mot pour dire étranger ennemi ; il y a pour désigner la propriété de l’étranger une expression d’une sauvage énergie : dar el harb, la maison de la guerre. Les plus fanatiques commentateurs du Koran prétendent qu’une terre