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succès dépend moins de sa propre valeur que du choix des hommes qui en sont les instrumens ait aussi bien réussi, c’est un fait honorable pour l’armée.

On pourra juger de l’activité nécessaire aux agens de l’administration arabe par la multiplicité de leurs fonctions. Ils doivent répartir et percevoir les impôts, surveiller la police des chefs indigènes et la justice des kadhi, préparer les moyens de transport, diriger les convois pour les troupes européennes, recueillir et transmettre à l’autorité française tous les renseignemens propres à éclairer sa politique. Les rapports de quinzaines présentent le résumé des faits qui sont de nature à préoccuper une administration prévoyante. Pour réunir les élémens de ces enquêtes, on oblige chaque kaïd à tenir un registre particulier, sur lequel il écrit les nouvelles en circulation dans son district, d’après une sorte d’interrogatoire qu’il fait subir aux cheick des tribus sous ses ordres. L’officier français, en visant périodiquement ce registre, prend note de tous les faits qui lui paraissent dignes d’intérêt. Ces notes sont transportées dans chaque bureau arabe sur un registre spécial, divisé en autant de feuillets qu’il y a de tribus, relatant jour par jour les circonstances dignes d’attention. Des tableaux spéciaux, destinés à la statistique financière, réunissent les chiffres sur la population, sur la richesse de chaque tribu en bétail et en culture, comme bases à l’établissement de l’impôt. Ces registres, dont l’administration a dressé le modèle, forment, pour ainsi dire, le compte ouvert à la barbarie par la civilisation.

Il n’entre pas précisément dans les attributions des bureaux arabes de rendre la justice ; les tribunaux indigènes sont maintenus dans tous les territoires où l’organisation européenne n’a pas encore été introduite ; mais il arrive souvent que nos officiers sont appelés en qualité d’arbitres ou de juges. Au jour désigné pour recevoir les communications d’un intérêt public, il n’est pas rare de voir les Arabes accourir en foule pour exposer leurs querelles particulières. Souvent on a passé des heures entières autour du muphti, du kadhi et du bach-adel réunis en tribunal, à crier sans pouvoir s’entendre, à se menacer, à se reprocher mutuellement d’avoir acheté les juges, reproche trop souvent fondé, et tout à coup, de guerre lasse, on s’accorde pour faire appel au Français. L’officier arrive, entouré ordinairement des kaïd et des cheick du voisinage, quelquefois seul. Le calme renaît, l’Arabe éprouve un respect mêlé d’étonnement à voir ce guerrier venu de si loin, cet enfant de la puissance, comme on dit aujourd’hui dans le Sahara, qui sait parler comme l’homme du désert qui a le secret de ses passions, de ses besoins ; qui jugera bien, parce qu’il est juste et désintéressé ; qui fera respecter son jugement, parce qu’il est fort et courageux. On explique la cause, les Arabes s’inclinent, et c’est au nom du peuple français que l’officier rend la sentence.