Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/808

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cinquante-trois villes ou villages plus ou moins fortifiés. Toute la surface du sol habitable se trouve ainsi couverte d’un réseau de postes espacés d’une vingtaine de lieues au plus. Ces postes sont autant de centres d’approvisionnemens, de sorte que chaque colonne mobile, tirant ses subsistances du point dont ses évolutions la rapprochent le plus, et n’éprouvant jamais de difficultés sérieuses à se ravitailler, acquiert une indépendance de mouvemens qui décident de sa supériorité. D’autres gages de sécurité, plus précieux encore, se trouvent dans les traditions de l’armée d’Afrique. Grace à l’instinct remarquable du soldat français, à l’esprit progressif, au profond sentiment militaire des officiers de tous grades, il s’est formé là comme une école pratique, où chacun apporte, non pas seulement la solidité du devoir, mais l’entraînement de la conviction. Ainsi s’est établie, depuis les premiers jusqu’aux derniers rangs, une confiance réciproque qui promet la victoire et suffit presque à l’assurer. Grande par sa force, cette armée ne l’est pas moins par son humanité. On va voir qu’appelée spécialement au gouvernement des indigènes, elle n’inspire déjà plus ni ressentiment ni haine à ceux qu’elle a tant de fois vaincus et qu’elle retient subjugués.


II. — GOUVERNEMENT DES INDIGÈNES.

Les sujets algériens de la France se classent naturellement en deux catégories : 1° les indigènes établis dans les villes ou districts occupés par nous, recherchant, pour ainsi dire, le bénéfice de la loi française et associés plus ou moins aux intérêts européens ; 2° la population rurale, c’est-à-dire les nombreuses tribus disséminées sur une surface égale aux deux tiers du sol français, races diverses, subissant avec plus ou moins de résignation la conquête française, mais restées jusqu’ici en dehors du mouvement civilisateur.

La qualification de kadar ou citadin s’applique particulièrement aux Maures, aux Juifs, aux nègres. Les Kabiles et les Arabes ne font séjour dans les villes que passagèrement, lorsqu’un intérêt les y retient. Il est difficile d’apporter au recensement de la population indigène toute l’exactitude désirable. Il y a une dizaine d’années, on évaluait vaguement à 55,000 ames le nombre des hadar en résidence dans les dix huit villes ou districts dominés alors par les armées françaises. Ces mêmes localités renferment aujourd’hui au moins 76,000 habitans de race africaine ; de plus, on a conquis ou créé, depuis cette époque, treize villes ou centres de population qui réunissent environ 12,000 musulmans, ce qui porte à 88,000 le nombre des indigènes domiciliés actuellement dans les villes, engagés dans nos affaires et faisant à leur insu l’apprentissage de notre civilisation.

Il serait fort intéressant de constater avec exactitude comment s’opère